[A] Personnage au vocabulaire limité

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Milora
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Re: Points de vue multiples [Je]

Message par Milora »

Betty a écrit :
Si je n'ai pas trop de souci pour les 2 premiers (même si je n'ai pas encore testé la princesse, je pense la faire narrer de manière assez soutenue) je me pose de grosses questions stylistiques sur la dernière. En fait, j'ai peur d'en faire trop ou pas assez...

Elle a déjà eu des dialogues avec d'autres personnages sans être narratrice et ça donne en gros quelque chose d'assez trivial, elle parle vite, elle mange ses mots, etc. En dialogue, ça ne me gène pas d'écrire un "vous m'faites mal" ou un "'Scusez-moi", mais je ne sais pas jusqu'à quel point je peux faire ça dans la narration même. J'ai peur que ça lasse le lecteur, que ça semble artificiel.

Est-ce que certains d'entre vous ont déjà expérimenté un narrateur avec une narration un peu crue, triviale, simpliste ? Sachant que c'est quand même du YA, je ne veux pas non plus la rendre vulgaire. Ou est-ce que vous avez des exemples de livres ou d'auteurs qui ont des narrateurs de ce type et qui s'en sortent bien ?

Merci !
Pour ma part, j'ai pris une narratrice comme ça pour une nouvelle (longue), mais à mi-chemin, elle m'a gonflée, et mon lecteur m'avait dit que ça le gonflait aussi. Du coup j'ai opté pour la faire parler normalement mais avec quelques expressions "de terroir", éviter les structures de phrases complexes, les mots trop compliqués, et mettre quelques tournures un peu "paysannes" (dans mon cas, c'est une narratrice paysanne du Moyen Âge ; dont le point de vue est en alternance avec une duchesse). J'ai essayé de travailler sur la structure des phrases aussi : ne pas mettre le mot précis qu'il faudrait pour se référer à quelque chose de nuancé (une couleur, un sentiment, etc.), mais écrire une ou plusieurs expressions plus terre à terre pour évoquer l'idée, de tourner un peu autour du pot, parce que la narratrice a une pensée plus brouillonne que si elle disposait d'un vocabulaire précis et sûr. Elle cherche, quand elle pense ; elle se réfère à ses impressions et à ses expériences, au lieu d'employer directement le mot adéquat. (Mais sans s'en rendre compte, sans "..." et sans hésitations marquées, c'est plus un choix en amont, que j'ai fait, moi, au moment de camper la "voix" de la narratrice). Je m'autorise des "Il y avait" et quelques tournures un peu plates, en essayant de faire en sorte que ce ne soit pas lourd non plus. Juste des touches, pour marquer qu'elle n'est pas super à l'aise avec les mots et que son horizon de pensée est assez terre à terre, peu instruit (ce qui ne veut pas dire bourrin, c'est juste dans l'élocution et le niveau de culture, que c'est censé se sentir).
Je pense aussi que ça peut ressortir d'autant plus par contraste avec les autres narrateurs : si tu enchaînes d'un narrateur au langage précieux sur un au langage plus populaire, même sans accentuer exagérément le premier, on notera la différence et ça suffira, je pense.

Bon, dans mon cas, je sais pas ce que donne le résultat (j'ai pas encore fini), mais il m'a semblé que c'était une solution viable, si elle est bien menée (reste à arriver à bien la mener :fatigue: ). Parce qu'un vocabulaire trop "populaire (non réaliste)" va vite être saoulant pour le lecteur. Quand on écrit, tout le langage est un code : il suffit d'un peu de sauce pour lui donner l'air d'un ragoût. Je pense que le mieux c'est de rester fluide et agréable à lire, tout en mettant quelques gouttes de "langage du peuple" pour faire couleur locale.

Après, l'autre choix à effectuer me semble être dans les dialogues, lorsqu'on est du point de vue de ce personnage au langage peu aisé. Dans la nouvelle sur laquelle je bosse, j'ai un lecteur qui a été gêné par le fait que les dialogues étaient plus oralisés que la narration. Je pense que je vais quand même garder ce postulat : la narration à "je" relativement fluide, et plus de marque d'un langage de bas peuple dans les dialogues. Parce que de toute façon, la narration est une reconstruction des impressions et sentiments de la narratrice, c'est pas un discours qu'elle pense consciemment. Donc ça me semble logique qu'elle ne pense pas exactement comme elle parle. Comme quand on a une narration à "je" dans un style non marqué par une classe sociale ou un style particulier, bref, un "je" normal : ça ne me choque pas si, dans les dialogues, le personnage saute les négations, alors qu'il ne le fait pas dans le corps du texte. Parce que le dialogue est oralisé, tandis que la narration est une construction. (Enfin le dialogue aussi mais le dialogue est censé refléter ce que dit verbalement le personnage). Donc j'ai opté, pour ma part, pour un personnage dont le langage est davantage "oralisé" dans les dialogues que dans le flux de ses pensées.

Enfin, c'est juste un avis ; j'n'avions point d'solution miracle, crédiou.
Jour de pluie dans une cuisine (Le Mammouth éclairé)

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Crazy
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Re: Points de vue multiples [Je]

Message par Crazy »

Betty a écrit :Si je n'ai pas trop de souci pour les 2 premiers (même si je n'ai pas encore testé la princesse, je pense la faire narrer de manière assez soutenue) je me pose de grosses questions stylistiques sur la dernière. En fait, j'ai peur d'en faire trop ou pas assez...
Il y a qq sujets qui correspondraient pe mieux :
viewtopic.php?f=14&t=204008
viewtopic.php?f=14&t=215806

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Mélanie
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Re: Mon héros est limité... dans ses mots.

Message par Mélanie »

Pour la cohérence, j'ai fait la fusion du fil avec le sujet sur la limitation des mots. :mage:
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"Aux amres ! diuex et dmei-deiux !
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Re: Mon héros est limité... dans ses mots.

Message par Crazy »

Marci :love:

La_louve

Re: Mon héros est limité... dans ses mots.

Message par La_louve »

Tiens, je me suis déjà posé la question moi aussi. J'avais opté pour l'utilisation de phrases plus simples, plus courtes, et d'un vocabulaire plus restreint sans pour autant faire de fautes dans la narration (dans les dialogues par contre, oui, il fait des contractions). Ca m'a fait très étrange d'écrire comme ça, je ne reconnaissais plus mon écriture, donc le pb est de trouver un juste milieu.

Les propositions de Milora me semblent très intéressantes !

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Aramis
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Re: Mon héros est limité... dans ses mots.

Message par Aramis »

J'ai eu le cas sur un roman il y a quelques mois: le personnage a peu d'éducation et vit dans un milieu de délinquants dans notre monde contemporain...et je suis à la première personne du présent - dans mon cas, ce choix s'imposait parce qu'il ne pouvait clairement pas parler au passé simple et je me voyais mal écrire un roman entier au passé composé.

Dans la narration, ça se traduit par des grossièretés ici et là, quelques absences de négation (mais ce n'est pas systématique), des phrases plus simples, des descriptions assez sommaires des lieux où il passe (voire quasiment absentes), des considérations assez pratiques et terre-à-terre, des réflexions qui tournent autour de ce qu'il ressent sur l'instant présent plutôt qu'une vision à plus long terme... Il y a des moments aussi où il ne trouve pas ses mots pour décrire des choses, verbaliser ses émotions ou même les exprimer mentalement comme il voudrait - ce qui peut le rendre assez violent d'ailleurs, parce que les gestes finissent par remplacer les mots qui manquent. Je joue aussi sur le contraste avec un des autres personnages que le "héros" est amené à fréquenter qui, lui, a beaucoup plus d'éducation - ce n'est pas la même façon de formuler les choses, de les exprimer. Je pense que ça fait un contraste intéressant.

Bref, je rejoins pas mal ce qui a été dit sur le sujet ^^
La Cité oubliée chez Scrineo le 4 avril et Cathédrale en poche le 14 mars !

Le panache est, dans un sacrifice qu’on fait, une consolation d’attitude qu’on se donne. E. R.

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Najdah
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Re: Mon héros est limité... dans ses mots.

Message par Najdah »

Un livre à lire sur le sujet : La voix du Couteau de Patrick Ness. Le narrateur est illettré, ça se ressent dans le style, quelques fautes d'orthographe mais très légères qui concernent surtout la prononciation (exemple : "essplication" ) et ça n'empêche pas le rythme et l'intrigue d'être percutantes !

Anonyme_Quatre

Re: Mon héros est limité... dans ses mots.

Message par Anonyme_Quatre »

Amha, ce n'est pas parce que quelqu'un n'est pas lettré qu'il ne dispose pas d'une certaine diversité de vocabulaire. Simplement, ça ne serait pas la même : comme disent Milora et Têtard, entre les mots spécifiques et l'argot, le langage peut déployer une richesse et un goût très savoureux. A ce sujet, je recommande Wastburg et Gagner la Guerre. Amha, là où le décalage se sent, c'est quand des classes sociales différentes se rencontrent.
Pour les descriptions, leur taille n'est pas forcément représentative, mais surtout leur pertinence. La description, pour moi, c'est comment le personnage perçoit son environnement. En l'absence de description, ça veut dire pour moi qu'il n'en perçoit rien (j'adore les descriptions). Or, la limitation en mots n'a pas d'influence sur la perception des choses en elle-même, mais sur leur retranscription, et à la rigueur leur interprétation dans certains cas. Et là, on touche au fait que les personnages ne voient pas les mêmes choses dans un même lieu, ne font pas attention aux mêmes détails. Donc certes, il risque de ne pas y avoir d'envolée lyrique dans la description, mais il n'empêche que les descriptions ne me paraissent pas HS.
Quand on lit beaucoup et qu'on est baigné dans une culture du livre, on a parfois tendance à sous-estimé les non-lecteurs, ce qui peut être intéressant comme point de vue de ces personnages là aussi. Certes, un vocabulaire varié et construit aide à structurer la pensée, mais ça reste réducteur :D Là, ça va dépendre du métier du personnage, de sa vie actuelle, passée : un paysan lettré et un paysan illettré auront probablement plus en commun dans leur réflexion qu'un paysan lettré et un noble lettré.

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NaNa
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Re: Mon héros est limité... dans ses mots.

Message par NaNa »

Ce que je te conseille c'est d'éviter de la faire manger ses mots dans la narration. J'ai déjà du mal avec ça quand les dialogues deviennent un peu longs, alors pendant toute une narration, j'imagine même pas.
Je te conseille d'éviter le trop pleins de subordonnées, peut-être de faire des fautes de français si elles ne sont pas trop lourdes (genre oublier le "ne") et d'utiliser un vocabulaire simple. Pour avoir un jour écrit une scène du point de vue d'un enfant de quatre ans, je t'assure qu'on est surpris de tout ce qu'on peut exprimer avec un vocabulaire limité. Niveau description, essaye d'insister sur ce qui va attirer son attention. C'est tout bête, mais un paysan ne décrit pas la campagne ou la ville de la même façon qu'une princesse, ils ne vont pas voir les mêmes choses. Si tu veux faire une comparaison, essaie de la faire avec un élément que ton personnage côtoie tous les jours. Par exemple "c'était horrible, pire que de voir ses semences détruites par une invasion de sauterelles" (bon, mon exemple est nul, mais tu vois l'idée).
"Make the plan, execute the plan, expect the plan to go off the rails, throw away the plan"

OLT : La Licorne et le Lion

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