Je m'incruste dans la conversation sur les surdoués, vu que je viens d'une famille où quasi tout le monde l'est (oui, c'est aussi folklorique qu'on peut l'imaginer
). Garde à l'esprit que ce qui suit est une expérience tout à fait personnelle, qui ne concernera pas tous les surdoués/précoces, loin de là.
Les autres ont déjà très bien répondu. Une personne surdouée peut être hypersensible, en effet, mais ça ne veut pas dire qu'elle n'apprendra pas à le gérer et ne sera pas un adulte équilibré et stable. Chacun est différent. Un surdoué peut parfaitement survivre à une enfance très difficile — tout en demeurant plus sensible que la moyenne, d'ailleurs, l'un n'empêche pas l'autre — ou bien craquer complètement. Ça le marquera, en tous les cas (comme tout le monde), mais pas forcément au point d'une dépression nerveuse. Je vais prendre l'exemple d'un membre de ma famille, qui peut paraître froide et intimidante pour ceux qui ne la connaissent pas (façon Galadriel qui lit dans vos pensées de temps à autres), mais conserve une grande sensibilité intérieure. C'est une survivante dans l'âme, qui n'a pas eu une enfance facile, mais peut se montrer très empathique.
Après, concernant les traits "généraux" des surdoués : ça dépend vraiment des gens. En général, tu retrouveras des choses comme la pensée en arborescence (c'est-à-dire qu'une idée va nous évoquer immédiatement une autre, puis une autre, puis une autre, et certains se noieront dans les associations d'idées jusqu'à perdre le fil de la conversation ou de leur réflexion). Comme internet : tu passes de lien en lien, en lien. Les gens qui ne sont pas surdoués auront des associations d'idées aussi, mais les connexions se font de façon plus explosives chez le surdoué. En gros, les gens "normaux" (à prendre avec trente-six paires de guillemets) vont suivre une ou deux pistes de réflexion à la fois, pendant que le cerveau des surdoués partira dans six directions différentes en même temps, directions pas forcément logiques pour autrui. Pour prendre un exemple un peu grossier, la plupart des gens fonctionnent comme des livres papier, une ligne après l'autre, un chapitre après l'autre, alors que le cerveau du surdoué sera en mode "j'ai ouvert trente onglets à la fois sur mon navigateur internet et dis-donc, je comprend pas pourquoi Firefox rame aujourd'hui".
Tout cela fait que le surdoué semble "sauter" à certaines conclusions sans passer par un chemin normal, et sera bien incapable d'expliquer comment diable il en est arrivé là. L'exemple typique, c'est le surdoué écolier qui a trouvé la solution à une division, mais est absolument incapable de décomposer son calcul devant une maîtresse en pleine crise nerveuse. Ou bien le surdoué lecteur d'un roman qui devine le retournement de situation final au bout de trois paragraphes, alors que l'auteur n'avait donné qu'un indice microscopique. Ça peut même ressembler à des intuitions quasiment paranormales (même qu'on peut coller la pétoche aux gens et que c'est parfois assez drôle). Mais ça peut aussi s'avérer très frustrant, parce que le cheminement de pensées est difficile à expliquer à autrui, et que du coup, bonjour les regards de travers quand on a l'air de changer complètement de sujet d'un seul coup, ou quand on arrive à une conclusion trop abruptement.
À part ça, ton surdoué aura sans doute des préoccupations existentielles. Ça se voit déjà chez les enfants, qui vont tôt prendre conscience de la mort (bonjour les crises d'angoisses). Ils comprendront très vite certains concepts abstraits, et enfants comme adultes s'interrogeront sur des choses comme le libre-arbitre, la mort, le but de l'existence, et tous ces sujets très légers et très faciles à caser dans des conversations avec vos collègues de travail ("Eh, il fait beau aujourd'hui, Charlène. Ouais, le café est pas mal. Sinon, que penses-tu de la vie après la mort ? Parce que ça m'a réveillée à trois heures du matin et que mon cerveau n'a pas pu s'arrêter de tourner ensuite, donc je me demandais..."). Enfant déjà, il sera sans doute très sensible aux notions de justice et d'injustice (exemple de mon frère, qui ne supportait pas qu'on punisse ses camarades injustement et s'interposait entre eux et son professeur en s'exclamant : "mais ce ne sont que des enfants !", alors qu'il avait le même âge
), et ne se verra pas lui-même comme un enfant, mais comme l'égal des adultes autour de lui (ce qui pourra conduire nombre de professeurs à le taxer d'insolent et d'irrespectueux).
Un autre truc qui me vient, c'est que le surdoué va avoir tendance à tout compliquer. Par exemple, à l'école, la maîtresse donne un problème de maths. Le surdoué le trouve trop simple. Donc au lieu d'écrire la réponse, il va se dire que ça doit être plus compliqué que ça, forcément, parce que la maîtresse n'aurait pas pu donner un problème aussi facile. Résultat, il va se torturer les méninges pour trouver une
autre réponse que la bonne réponse, et donc avoir tout faux au final.
Autre exemple de l'horreur absolue pour le surdoué : les formulaires et les quizz. Pourquoi ? Parce qu'à la moindre formulation ambigüe, même un tout petit peu ambiguë, le cerveau du surdoué va surchauffer pour trouver
toutes les significations possibles de cette fichue question, et ne saura donc pas quelle case cocher. Juste parce que ça peut vouloir dire deux choses différentes. C'est dans ces cas-là, en général, qu'il ou elle appellera en hurlant son conjoint non-surdoué, qui mi-mort de rire, mi-levant-les-yeux-au-ciel, traduira la question en termes simples.
Encore un exemple d'horreur banale : l'ennui. Le pire ennemi du surdoué, à l'école ou au travail. Si le surdoué s'ennuie, il a de fortes chances de ne pas écouter ou de ne pas travailler, à moins qu'il soit très discipliné. L'ennui, c'est la mort. D'où les échecs scolaires de pas mal d'entre eux, et les notes parfois juste passables des autres. Quand le surdoué s'intéresse à quelque chose, il peut se montrer hyper-performant, mais quand le sujet le lasse, il doit recourir à des trésors de ressources intérieures pour s'atteler à la tâche. Ça n'aide pas non plus qu'il comprenne illico ce que le professeur a expliqué, alors que ses camarades auront besoin qu'on le répète trois fois. Ou bien que ses camarades/collègues pigent vite que le surdoué est différent, et le prennent parfois comme bouc-émissaire. Et ça peut aller très loin, jusqu'à la phobie scolaire et les crises de panique.
Voilà ce qui me vient à l'esprit pour l'instant. J'insiste sur le fait que tous les surdoués sont différents les uns des autres. L'un peut être très extraverti, avec un talent d'orateur et une grande aisance à l'oral, l'autre introverti, avec du mal à trouver ses mots et bien plus à l'aise à l'écrit, d'autres encore être à l'aise en public, mais être crevés au bout de cinq minutes et n'avoir qu'une envie, retourner chez eux... Il y a des surdoués calmes, des excités du bulbe, des fanas de cuisine, d'autres d'astronomie, des surdoués qui s'ignorent (beaucoup trop), d'autres qui savent très bien à quoi s'en tenir, des surdoués mal dans leur peau, des surdoués pleins de confiance en eux, des qui réussissent à l'école, d'autres qui échouent, des grands ambitieux, des qui veulent juste se construire une cabane en Sibérie et qu'on leur foute la paix, des roses, des verts, des surdoués à rayures (d'ailleurs, certains se surnomment "les zèbres"...). L'idée qu'on s'en fait en général, c'est le génie scientifique hyper-logique et hyper-rationnel, mais il y a aussi pleins de surdoués plus "littéraires", ou qui se reposent plus sur leur intuition que sur un raisonnement scientifique, etc, etc.
Sur le fait d'écrire le surdoué comme quelqu'un de "normal"... J'ai envie de dire que le surdoué est tout à fait normal pour lui-même
. C'est souvent la réaction des autres qui va l'alerter et lui faire se dire "zut alors, je dois être bizarre."
Bon, j'ai pondu un gros pavé. J'espère que ça te sera utile (et Lilie, j'ai bien envie de répondre à ton amorce de sujet aussi, donc je risque de revenir pondre un autre pavé dans pas longtemps).