Dirga a écrit : ↑mar. févr. 27, 2018 9:58 am
Salut Faisselle
Une petite question concernant les mœurs au moyen âge. Est-ce qu'à cette époque les amoureux s'embrassaient sur la bouche, et plus généralement connait-on les façons d'alors de témoigner tendresse et désir sexuel ?
d'avance
Je ne t'oublie pas Dirga, mais j'ai été un peu occupé dernièrement. Cependant j'ai déjà quelques informations sur la pratique du baiser sur la bouche !
Alors, d'après
Sensible Moyen-Âge, une histoire des émotions dans l'Occident médiéval, écrit par Damien BOQUET et Piroska NAGY, sur la période du XIIème-XIIIème siècles, la sexualité intègre pleinement la question de la relation amoureuse. En gros, l'amour "vrai" défini auparavant par les clercs écarte la sexualité de l'amour, même dans un cadre marital ; dans la version postérieure, davantage influencée par une culture nobiliaire et poétique, l'amour vrai et le plaisir sexuel convergent (LOL
j'ai noté cette vanne sur ma feuille de notes alors que j'attendais à 7h20 le début d'un concours blanc dans ma salle de classe vide après une nuit très brève enfin bon). Ces explications sont tirées des pages 164 et 165 de l'ouvrage.
Dans cette ambiance, donc, la question du baiser, mais aussi de l'enlacement, sont des gestes fondamentaux à la manifestation de l'amour, sans distinction de sexe. D'après l'ouvrage même, "L'amour vrai est perçu comme un lien qui unit avant tout les âmes, même s'il s'exprime par les corps" (première des pages centrales illustrées). Il faut faire attention cependant, car ces gestes extrêmement intimes peuvent également exprimer une amitié fusionnelle, un sentiment caractéristique de la période médiévale (surtout dans cette période) dont l'analyse est excessivement complexe car elle emploie des termes du langage amoureux et se manifeste par une intimité extrême, surtout entre hommes (en vrac, embrassades, câlins et touchers réguliers, dormir dans le même lit parfois sans vêtements, partager l'existence dans tous ses instants, et souvent des histoires de vengeance pour un ami tué...).
Il faut d'autant plus y être attentif, que le XIIème siècle est le début de la répression progressive de l'homosexualité en Occident ainsi que de la "naturalisation" de l'amour hétérosexuel. Si auparavant les unions homosexuelles (celles entre hommes sont plus connues) étaient globalement admises, tolérées, mentionnées, le XIIème siècle voit l'assignation spécifique du crime de sodomie (
sodomia en latin apparaît pour la première fois en 1051) à l'homosexualité, assimilée à l'hérésie et à une idée de contre-nature. La période voit une ambiance de suspicion, et les comportements les plus émotionnels entre hommes se modèrent en raison de la crainte d'une accusation. L'autrice et l'auteur mettent en parallèle ces événements, et notoirement la fabrication de l'opposition entre amours du sexe opposé et amours du même sexe, avec la prise de contrôle par l'Eglise du mariage en tant que sacrement (contrairement au Haut Moyen-Âge où les mariages se faisaient encore clandestinement et dans des perspectives très politiques) : à leur sens, on aboutit à la mort d'une possibilité d'une culture amoureuse homosexuelle, dont les conditions étaient pourtant posées. Les valeurs amicales et amoureuses sont remplacées par des valeurs de fidélité et de hiérarchisation sociale, qui s'appliquent aussi aux relations amoureuses : à ce titre, les relations homosexuelles étaient considérées comme purement sexuelles et non pas comme des relations entières.
Pardon pour la petite digression, mais ça me paraissait utile pour compléter le propos
Je reviens plus tard sur la question de la tendresse et du désir sexuel, enfin ses manifestations, mais j'espère déjà avoir proposé certaines choses !