C’est un sujet intéressant ! On se pose tous cette question en tant qu’auteurs à un moment ou à un autre je pense.
EliG a écrit : ↑mer. avr. 18, 2018 3:26 pm
Bonjour,
J'aimerais avoir des opinions sur une décision que j'ai à prendre qui n'est pas simple dans mon esprit.
J'envisage d'interchanger deux personnages de ma série : le frère et la soeur. Le bon et la méchante.
Bref, que mon protagoniste devienne UNE protagoniste.
Ma motivation vient de deux éléments :
1. Je me demande si le drame ne serait pas plus fort s'il était canalisé à travers une femme. J'ai le sentiment que personnage féminin fait un meilleur catalyseur à
tempêtes d'émotions.
Je suis gêné aussi par cet argument, EliG, et d’accord avec Betty et les autres avis concordants qui ont suivi dans la discussion : cet aspect-là, ce n’est pas une histoire de sexe, mais de bien caractériser le personnage. Qu’il soit crédible, que ses motivations nous touchent, qu’on puisse s’y identifier etc.
Lofarr a écrit : ↑sam. avr. 21, 2018 12:15 pm
Pour ma part, j'ai l'impression que la plupart des clichés concernant les femmes dans la littérature viennent du fait qu'elles sont trop souvent traitées comme des archétypes du genre: le mentor, l'ami, le méchant, etc.. Il y a l'archétype la femme (en détresse, en colère/badass/forte , intello, etc.)
Mais "femme" n'est pas un rôle, c'est un être humain. Une femme peut adopter tous les types de comportements, avoir tous les types de personnalités, avoir des actions nobles ou au contraire dégueulasses. Comme dans la vraie vie en fait.
Pareil, ce problème-là, on le rencontre aussi fréquemment avec des stéréotypes de personnages masculins… Mais que tu soulèves cet aspect est intéressant, je trouve, Lofarr, car cela souligne le fait que bien souvent, l’évolution des personnages (surtout les secondaires) n’est pas assez développée.
EliG a écrit : ↑mer. avr. 18, 2018 3:26 pm
2. Je reviens du salon du livre et on m'a fait comprendre que le gros des lecteurs étaient des lectrices. J'ai aussi appris que la science fiction était la pire niche en matière de lectorat (très peu de clients).
Or, je me demande si le fait de mettre UNE protagoniste touche davantage le coeur des lectrices ? Quels sont les infos que vous avez à ce sujet et comment vous voyez ça ?
D’une manière très simple, et cela été déjà dit plus haut : en te préoccupant d’écrire l’histoire qui toi te touche, tu as le plus de chances de toucher tes lecteurs (lectrices incluses, qui, oui, sont sans doute majoritaires). Après, certains auteurs « plus professionnalisés » (je prends soin de mettre des guillemets) se sentent peut-être capables de viser certains clichés, stéréotypes ou contraintes demandées par leur éditeur ? Moi, je m’en sens tout simplement incapable. Et le jour où on me demanderait de changer le sexe d’un personnage (par exemple) sur un roman déjà écrit ou bien avancé, ce serait probablement non.
EliG a écrit : ↑mer. avr. 18, 2018 3:26 pm
Perso, les infos commerciales me travaillent. Toutefois, j'aime beaucoup le personnage de "la soeur" et j'ai choisi son frère parce que je suis un homme et que je me disais que ce serait plus facile à écrire. C'est pourquoi j'ai ce dilemme.
AMHA, il faut se méfier du plus facile ou plus difficile à écrire ! Tant qu’on n’est pas plongé dans le premier jet, c’est impossible à savoir (pour moi, en tout cas, même après plusieurs romans d’écris).
FGFT a écrit : ↑mer. avr. 18, 2018 7:40 pm
ÀMHA, il y a des chances pour qu'il soit plus facile pour une femme d'écrire des personnages masculins crédibles (et crédibles dans une société similaire à la nôtre), que pour un homme d'écrire des personnages féminins crédibles.
Pourquoi ? Parce que notre société pousse les femmes à toujours prendre en compte les "besoins" et les desiderata des hommes, leur manière de voir le monde, etc, alors qu'elle ne demande quasiment jamais (pour ne pas dire jamais) à un homme de se mettre à la place d'une femme, et d'imaginer ce qu'elle peut vivre au quotidien.
C’est un avis légitime, je suis néanmoins peiné de lire cela.
Le fait d’écrire des livres, et de devoir y mettre des personnages féminins (par choix ou pour convenir aux propres contraintes que mon histoire impose) m’a poussé à me mettre autant que possible dans la peau de ceux-ci, quitte à me documenter, à discuter, poser des questions, demander des avis… J'imagine que plein d'auteurs se donnent du mal sur cette question. J’ai du mal à comprendre pourquoi cela serait plus facile dans un sens que dans un autre ?
timioko a écrit : ↑jeu. avr. 19, 2018 11:49 am
Plus que 'est-ce que le personnage principal est une femme ou un homme?" ce qui m'intéresse c'est le traitement.
Voilà, je crois que tout est là !
Mariedelabas a écrit : ↑jeu. avr. 19, 2018 1:26 pm
Ma prise de conscience par rapport à cette question remonte à mes années de fin de lycée. Je lisais de la SF depuis le collège, donc milieu/fin des années 70 (les auteurs US majoritairement) et j'ai commencé à me rendre compte que les femmes, il n'y en avait pas des masses. Quand on lisait de la SF populaire genre Fleuve Noir, elles ne servaient que de love interest, en général. Aucune ne menait l'action.
Chez Jules Verne, c'est pareil, les femmes sont soit des gourdes, soit des garces. J'en lis quand même, mais je fais taire mon féminisme le temps de la lecture.
Dans les Tarzan, Jane est insupportable
Chez Asimov, c'est pareil
etc
ça a commencé à m'énerver, sans que j'en prenne vraiment conscience et j'ai cherché, difficilement, des textes de SF avec de beaux rôles de femmes. Et le contraste était énorme quand je lisais du roman historique. Tu lis Pearl Buck (romancière qui a beaucoup écrit sur la Chine), tu as énormément de protagonistes principaux féminines (et avec Impératrice de Chine, ce sont des femmes avec des rôles costauds). Tu lis Jeanne Bourin (médiéviste), des femmes. Tu lis les sœurs Brontë, des femmes, etc. En fantastique aussi, on avait des personnages féminins mais qui étaient soit les goules, les fantômes, les revenantes, etc
A se demander pourquoi. Et j'ai arrêté de lire de la SF pendant plusieurs années à cause de ça.
L'autre genre littéraire où les femmes étaient toujours présentes à l'époque, c'était les romances (avec parfois des situations faisant l'apologie de ce qu'on appelle aujourd'hui la "culture du viol", et qu'à l'époque on qualifiait au mieux de malsain, mais bon, à force de voir dans les films les filles se faire bousculer dans la paille et finir par tomber amoureuses de leurs agresseurs, ces comportements paraissait tellement virils
... On servait ça aux femmes dans une littérature clairement faite à leur intention,
bref)
L'argument qu'on m'a servi à une époque, c'était : La SF est écrite par des hommes pour des hommes. Heu ?
Depuis, heureusement, les choses ont changé mais l'époque où j'ai grandi, ce que j'ai traversé dans ma vie comme pas mal de femmes de ma génération, ont fait qu'inconsciemment les rôles attribués traditionnellement par le patriarcat ont marqué mon cerveau. C'est donc avec une joie immense que je constate dans les romans publiés récemment le soin apporté aux rôles de femmes dans les romans. Vraiment, ça a beaucoup d'importance à mes yeux. J'apprécie de bons personnages masculins, hein, de bons personnages tout court, mais je remarque particulièrement les femmes. Et puis je remarque aussi le traitement des ethnies, orientations sexuelles, etc, ça fait partie également de mes prises de conscience, c'est un autre sujet mais je me réjouis de cette ouverture qui se dessine de plus en plus je trouve dans les romans contemporains.
On en a déjà discuté !
Je pense qu’avec ces références, c’était surtout une question d’époque à laquelle ces titres sont sortis. Les mêmes histoires (en tout cas traitées de la même manière, peu de caractérisation, personnages féminins aux abonnés absents ou stéréotypés) ne pourraient plus « passer » maintenant. Les temps ont changé ! Ce qui ne veut pas dire que ces titres ne sont pas de belles œuvres, loin de là. Jules Vernes, cela reste intemporel. Fondation d’Asimov m’a profondément marqué, et pour prendre un exemple plus marqué, qui n’est pas SFFF, Lawrence d’Arabie : je vous mets au défi d’y trouver un personnage féminin dedans, il n’y en a pas. Ce qui est fou, c’est qu’on ne s’en rend presque pas compte.
Pour revenir à la SF, je crois que Dune a été un vrai tournant, c’était avant-gardiste, novateur, tant dans le traitement des idées, de l’univers (et son côté baroque), que des personnages (Jessica, Chani, des rôles de femmes fortes et fragiles à la fois dans des registres différents…) Dune, il me semble, c’était les années 60. Rien que la narration : on explorait les pensées des personnages, alors que la majorité des livres à ce moment étaient plutôt en pdv omniscient ? Maintenant, les pdv internes (3ème ou 1ère personne, même) sont de loin les plus représentés.
Dune faisait partie de ces romans modernes, et la mise en avant de certains personnages féminins n’était qu’un aspect parmi d’autres ? Les fans de Franck Herbert, corrigez-moi si je me trompe ?
Pour ma part, en tant qu’auteur, chercher à bien camper un personnage féminin, je trouve que c’est un défi passionnant. D’un roman sur l’autre, je cherche aussi à alterner. Dans Harmonie, une romance contemporaine, j’ai centré le récit sur un protagoniste masculin, un adolescent. Le caractériser n’a pas été vraiment plus facile, et comme je souhaitais cette histoire renversée au niveau des points de vue (dans la romance, le pdv féminin est souvent majoritaire, là, c’était l’inverse), cela a été particulièrement exigeant pour bien traiter les personnages féminins, même s’ils étaient plus en retrait.
Je crois que le plus important, comme l’a écrit timioko, c’est le traitement. À mon sens, les personnages sont des outils pour servir l’histoire, le mieux possible. C’est vrai que quelque part, ils devraient se suffire en eux-mêmes, mais il faut toujours garder en ligne de mire l’histoire et son message. Que veut-on véhiculer comme propos auprès des lecteurs ?
En tant qu’auteur, bien connaître ses intentions peut se révéler particulièrement difficile, et c’est souvent après avoir écrit (ou réécrit) son roman que l’on s’en rend mieux compte.