Esthétisation de la violence

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Arya
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Esthétisation de la violence

Message par Arya »

Chère, cher camarade,

Il y a quelque chose qui me chiffonne en ce moment et j'aimerais bien avoir votre ressenti.

Nous écrivons des romans d'imaginaire, il nous arrive donc fréquemment de mettre en scène des batailles, des blessures, des trauma, des tortures, etc etc. Mais est-ce que d'une certaine façon, nous ne participons pas ainsi à banaliser la violence, voire à l'esthétiser ?

J'ai toujours considéré la littérature comme une catharsis. On lit et on vit par procuration des scènes terrifiantes qui d'une certaine façon nous purge de nos pulsions agressives.
Je regarde actuellement Titans, sur Netflix, et il y a des scènes d'une grande violence et en même temps, même si ça m'arrache de petits frissons de révulsion, je le vis un peu comme un divertissement pop-corn sans conséquence (ce qui est sans doute l'objectif des créateurs d'ailleurs).

En ce moment, je réfléchis à mettre un attentat au coeur de mon prochain roman. Je lis beaucoup de témoignages de victimes et pour certains d'entre eux (je parle de livres publiés chez des éditeurs), j'ai cette pensée terrible : "c'est mal écrit, c'est plat, c'est tell". Je vous cite un exemple : "soudain, je vois une femme sortir du terminal, recouverte de sang, quand une vitre tombe du mur d'enceinte. La scène est horrible". En lisant ces deux phrases, sur le moment, je me suis vraiment dit qu'un auteur arriverait à faire ressentir l'horreur absolue de cette scène avec une plus grande efficacité que la victime qui témoigne de ce qu'elle a vécu. Et là, je pose le livre, un peu choquée par le cours de mes pensées et je commence à me remettre en question, je me dis : de quel droit, tu vas, toi, mettre en scène un attentat que tu n'as pas vécu. Tu vas faire de la fiction. Tu vas esthétiser la violence.

Comment vous vivez ça ? Comment vous vous autorisez ça ? Est-ce que ça a du sens ? Est-ce que ce n'est pas être un imposteur que de faire cela ? Est-ce que ce n'est pas noircir un monde qui n'en a pas besoin ?

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Crazy
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Re: Esthétisation de la violence

Message par Crazy »

Arya a écrit :
mer. janv. 16, 2019 2:40 pm
Nous écrivons des romans d'imaginaire, il nous arrive donc fréquemment de mettre en scène des batailles, des blessures, des trauma, des tortures, etc etc. Mais est-ce que d'une certaine façon, nous ne participons pas ainsi à banaliser la violence, voire à l'esthétiser ?
Amha, pas exactement.
D'une part parce que le média écrit est beaucoup moins "frappant" que le média visuel ; d'autre part parce qu'il nous permet, plus facilement, de jouer sur le ressenti des protagonistes, des spectateurs etc...
Donc certes, tu peux prendre une optique qui valorise la violence, mais ce n'est pas l'option par défaut.
Je lis beaucoup de témoignages de victimes et pour certains d'entre eux (je parle de livres publiés chez des éditeurs), j'ai cette pensée terrible : "c'est mal écrit, c'est plat, c'est tell". Je vous cite un exemple : "soudain, je vois une femme sortir du terminal, recouverte de sang, quand une vitre tombe du mur d'enceinte. La scène est horrible". En lisant ces deux phrases, sur le moment, je me suis vraiment dit qu'un auteur arriverait à faire ressentir l'horreur absolue de cette scène avec une plus grande efficacité que la victime qui témoigne de ce qu'elle a vécu.
Mouais, mais ce genre de témoignage, à priori, est publié vite, brut, écrit par des gens "qui ne savent pas écrire"... (faudrait demander à Gabriel Katz s'ils peuvent pas aussi être écrits par un nègre :twisted: ).
Et là, je pose le livre, un peu choquée par le cours de mes pensées et je commence à me remettre en question, je me dis : de quel droit, tu vas, toi, mettre en scène un attentat que tu n'as pas vécu. Tu vas faire de la fiction. Tu vas esthétiser la violence.
:gyro: "Esthétiser" c'est pas la même chose que "valoriser".
Quand tu regardes un tableau comme "Guernica" ou "Le radeau de la Méduse", c'est violent ET esthétique. Mais ça ne donne pas envie de crever de faim sur un radeau.
Comment vous vivez ça ? Comment vous vous autorisez ça ?
Comme tu l'as dit, y'a le côté cathartique, te défouler en racontant des trucs horribles.
Est-ce que ça a du sens ? Est-ce que ce n'est pas être un imposteur que de faire cela ?
Ca a le sens que tu lui donnes (àmha, hein). Quant à l'imposture, c'est plus délicat à juger ; perso, je pense que tu n'as pas besoin d'avoir vécu le traumatisme X si tu veux parler du traumatisme X, par ce que tu auras vécu le traumatisme Y, qui n'a rien à voir avec X, mais la douleur est comparable, donc tu peux "canaliser" ça dans ta description de X.
Est-ce que ce n'est pas noircir un monde qui n'en a pas besoin ?
Ca, c'est encore une autre question.
Perso, je pense que la violence fait hélas partie de notre vie, donc il n'est pas anormal qu'elle figure aussi dans nos histoires. Et pour moi, ce qui noircit les choses, dans ce cadre, ce n'est pas la violence elle-même mais le fait de la voir présentée comme un moyen de succès en soi, surtout quand c'est par les "gentils".

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Re: Esthétisation de la violence

Message par timioko »

Ce sont des questions assez vastes et intéressantes, qui sont importantes à poser je trouve.
Décrire une scène de violences peut avoir plusieurs buts : cathartique ( pour soi et le lecteur), dénoncer, informer... En fonction on va la traiter différemment.
J'ai du mal avec la violence gratuite, purement cathartique. J'ai du mal aussi avec l'idée de toujours moraliser la violence.
Je serai personnellement incapable d'écrire une scène violente réelle ( écrire sur le 11 septembre par exemple...) Par contre dans un univers imaginaire je trouve que c'est important parce que ça parle à tous, à des degrés différents, et chacun y met ce dont il a besoin.
La violence n'a pas besoin des auteurs pour être banaliser, au contraire les auteurs savent lui donner un sens, là où en réalité elle n'en a pas.
Esthetiser par contre oui: on esthetise tout mais ce n'est pas un mal. Au contraire même l'esthétique permet la juste distance, celle qui rappelle qu'on est dans de l'art, du fantasme et pas dans le réel.
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Edel-Weiss
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Re: Esthétisation de la violence

Message par Edel-Weiss »

C'est très intéressant comme sujet, mais il y a effectivement beaucoup de sous questions comme le dit Crazy. J'avoue que la violence contemporaine me fait un effet très différent de la violence décrites dans les genres SFFF. La violence esthétisée dans la fantasy (que ce soit dans les séries, dans les jeux ou dans les livres) a un effet très cathartique pour moi. Et je pense justement que c'est parce qu'elle est esthétisée qu'elle peut remplir son rôle cathartique. J'aime voir, suivre ou incarner des personnages puissants qui peuvent utiliser la violence pour parvenir à leurs fins. À l'inverse, je n'aime pas du tout le gore, c'est à dire quand on commence à voir de la tripaille se répandre ou des scènes de tortures explicites. C'est très subjectif comme ressenti, mais quand la limite est dépassée, ça me ramène trop à la réalité de la violence et à la souffrance des corps. Si je commence à me projeter et à imaginer que ça pourrait m'être fait à moi, je vais me sentir mal et ce n'est pas ce que j'ai envie de ressentir. Du coup, on est clairement dans la question de l'esthétisme de la violence ! Ce que je veux, c'est pouvoir sentir la puissance et la violence sans les effets très pragmatiques de la douleur, de la torture, de l'agonie... donc il me semble nécessaire d'esthétiser la violence à ce stade.

Je pense que le fait de lire, regarder ou jouer à des médias du genre SFFF créé une sorte de distance avec la violence (dans mon cas en tout cas) Comme une barrière que je réussirais à créer pour me dire que ça reste imaginaire. Dans le cas d'une fiction contemporaine et non imaginaire, la limite est déjà plus ténue. Et là pour le coup, chez moi, le rôle cathartique ne fonctionne pas du tout : c'est quelque chose qui pourrait réellement se passer, alors ça a tendance à me rebuter et à me mettre mal à l'aise (oui, j'ai l'impression d'être très bizarre en me relisant) Mais je rejoins fortement timioko sur la nécessité d'esthétiser la violence, c'est justement le point de différence entre lire un témoignage et lire une fiction. Quand on lit un témoignage ou un documentaire, on a pas besoin de lire quelque chose de bien écrit car par définition, ça s'est passé et on peut l'imaginer. On sait qu'une vraie femme est sortie couverte de sang. On peut imaginer qui elle est, comment elle s'est retrouvée là, comment elle a réussi à sortir... Dans la fiction, cette femme n'existe pas, elle n'est personne. Juste un élément de décor qui sert à instaurer une ambiance. Et si le décor est mal posé, on ne rentrera pas bien dans l'histoire.

Après, je comprends le fait de se demander comment écrire une scène contemporaine sur un attentat, car c'est délicat d'écrire sur quelque chose qu'on ne connaît pas soi-même. Mais c'est un peu pareil dans toutes les situations de l'écriture : comment écrire un personnage homosexuel quand on est hétérosexuel, comment écrire un personnage parent quand on a pas d'enfant, comment écrire un personnage handicapé quand on est valide, comment écrire un homme quand on est une femme (ou inversement) ... la question est toujours : est-ce que je suis légitime ? et si je racontais des conneries ? et si mes propos blessaient des gens sans le vouloir ? Après, il y a aussi la question, est-ce que je peux écrire sur quelque chose qui fait souffrir des gens et que je ne connais pas moi-même ? Est-ce qu'on peut écrire du divertissement (a priori, même si ça n'empêche pas la réflexion) sur quelque chose qui peut être douloureux pour certaines victimes ? A priori, quand Stephen King a écrit le viol d'une femme dans sa nouvelle Grand chauffeur, il nous donne la réponse : pas besoin d'être une femme violée pour écrire sur cette horrible situation.
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Arya
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Re: Esthétisation de la violence

Message par Arya »

Merci pour vos réponses, ça me fait réfléchir et ça me rassure un peu, aussi, sur mes intentions d'auteur.
Effectivement, nous travaillons avec du texte, pas de l'image et c'est vrai que ça fait déjà une grande différence dans l'impact que peut avoir la violence.
Et surtout, comme vous le soulignez toutes et qui m'interpelle, c'est qu'en tant qu'auteur SFF, on place un filtre supplémentaire entre une réalité insoutenable et le récit. Comme vous, je ne pourrais pas (en tout cas pas aujourd'hui) traiter des attentats du 13 novembre, par exemple. Mais paradoxalement, j'envisage comme possible de mettre en scène un attentat imaginaire, déréalisé, presque onirique, tout en doutant de l'éthique, justement, à esthétiser une attaque à la bombe.
Moi aussi j'ai du mal avec la violence gratuite. Je crois qu'on y échappe avec les romans dans la mesure où on a souvent des approches très psychologiques avec des trajectoires de personnages. La violence sert le récit, son évolution, etc.
Je comprends la différence entre valoriser et esthétiser. Perso, je me posais vraiment la question sur l'esthétique. Vraiment loin de moi l'idée de valoriser ou de promouvoir la violence.
J'entends aussi bien ce que tu dis, Edel-Weiss, sur le fait que c'est un exercice auquel on se prête en permanence, mais oui, je crois que c'est l'aspect "faire du divertissement" avec ce thème qui me fait tiquer.
Merci encore de partager vos réflexions.

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Nankin
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Re: Esthétisation de la violence

Message par Nankin »

Si ce n'est qu'une question d'esthétiser et non de valoriser, alors au fond peut-être que c'est quelque chose que l'humanité a toujours fait ?
Les chevaliers, les croisades, le culte de l'armée etc. J'ai l'impression qu'au fond l'humanité a toujours cherché à rendre une certaine forme de violence belle et glorieuse.

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Re: Esthétisation de la violence

Message par Crazy »

Je me rappelle d'une scène dans "La liste de Schindler" où un personnage (ptet un enfant, je ne sais plus bien :oops: ) se fait tuer d'une balle.
Contrairement à ce que j'avais pu voir dans des films, à l'époque (y'a 25 ans), la mort du perso a été filmée d'une façon très réaliste, avec un plan qui s'attarde sur le corps et la flaque de sang qui s'étend par dessous. C'était une façon nouvelle de procéder, et la scène m'a d'autant plus marquée.
Depuis, cette façon de faire a un peu perdu de sa force en se démocratisant. Mais il y avait bien une esthétique derrière, qui ne valorisait en rien la violence de la scène.

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Amaryan
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Re: Esthétisation de la violence

Message par Amaryan »

Je réagis rapidement, mais c'est marrant que tu parles précisément de la Liste de Schindler, Crazy, parce que c'est la première chose qui m'est venue à l'esprit en voyant le très intéressant post d'introduction d'Arya. En effet c'est exactement cette "esthétisation" de la violence que Claude Lanzmann (le réalisateur de Shoah) a reproché à Spielberg au moment de la sortie du film, lui reprochant de banaliser l'holocauste en s'en servant comme décor et en le mettant en scène alors que selon lui, un tel événement devrait interdire toute scénarisation (son propre film Shoah est une succession de témoignages avec des images des lieux de l'Holocauste, sans images d'archives, sans musique, sans mise en scène).

Aucun des survivants de Shoah ne dit "je". Aucun ne raconte son histoire personnelle : le coiffeur ne dit pas comment il s'est échappé à Treblinka après trois mois de camp, ça ne m'intéressait pas et ça ne l'intéressait pas. Il dit "nous", il parle pour les morts, il est leur porte-parole. Quant à moi, je voulais construire une structure, une forme qui vaille pour la généralité du peuple. C'est tout le contraire de Spielberg, pour qui l'extermination est un décor : le noir soleil aveuglant de l'Holocauste n'est pas affronté.

On pleure en voyant La liste de Schindler ? Soit. Mais les larmes sont une façon de jouir, les larmes, c'est une jouissance, une catharsis. Beaucoup de gens m'ont dit : "Je ne peux pas voir votre film, parce que, probablement, voyant Shoah, il n'y a pas possibilité de pleurer."

D'une certaine manière, le film de Spielberg est un mélodrame, un mélodrame kitsch. On est pris par cette histoire d'escroc allemand, rien de plus. En tout cas, bien que passant aux yeux de beaucoup pour sioniste, jamais je n'aurais osé donner des "coups de marteau" pareils à ceux qu'assène Spielberg à la fin de sa Liste de Schindler. Avec cette grande réconciliation, la tombe de Schindler en Israël, avec sa croix et les petits cailloux juifs, avec la couleur qui est arrivée pour insinuer l'hypothèse d'un happy ending... Non, Israël n'est pas la rédemption de l'Holocauste. Ces six millions ne sont pas morts pour qu'Israël existe. La dernière image de Shoah, ce n'est pas ça. C'est un train qui roule, interminablement. Pour dire que l'Holocauste n'a pas de fin.



(Claude Lanzmann, Le Monde, 3 mars 1994)

Je ne partage pas le point de vue de Lanzmann même si je le comprends, parce que je le trouve un peu privatif alors que chacun devrait être libre de revenir sur l'histoire et de l'appréhender de la façon qui lui semble juste, mais comme quoi, même dans les hautes sphères de la création cinématographique, la question reste irrésolue... :)

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Re: Esthétisation de la violence

Message par Crazy »

Amaryan a écrit :
mer. janv. 16, 2019 9:33 pm
Je ne partage pas le point de vue de Lanzmann même si je le comprends, parce que je le trouve un peu privatif alors que chacun devrait être libre de revenir sur l'histoire et de l'appréhender de la façon qui lui semble juste, mais comme quoi, même dans les hautes sphères de la création cinématographique, la question reste irrésolue... :)
Je n'ai pas vu "Shoah", mais je ne suis pas fan de la réaction de Lanzmann non plus. Ok, le film de Spielberg aurait certainement pu être mieux, mais j'ai l'impression que Lanzmann essaie de dire "c'est ma vision la seule la vraie la bonne". C'est un peu comme s'il critiquait "Maus" de Spiegelmann ou "Les trois Adolf" de Tezuka. Ca fait le mec qui crie à l'appropriation culturelle, sauf qu'il ne peut pas le faire en vrai...

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Re: Esthétisation de la violence

Message par Luna K »

On parle de ce qui existe dans nos livres, or la violence existe et fait partie de nos vies à divers degrés. Je ne vois pas pourquoi on aurait des tabous sur ce qui existe et sur ce dont on a envie de parler. Je crois que la fiction peut sauver la vie en représentant des choses dont on ne parle jamais ailleurs, ou dont on parle mal. C'est tout ce que j'ai à dire.

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Re: Esthétisation de la violence

Message par NaNa »

Crazy a écrit :
mer. janv. 16, 2019 3:39 pm
D'une part parce que le média écrit est beaucoup moins "frappant" que le média visuel ; d'autre part parce qu'il nous permet, plus facilement, de jouer sur le ressenti des protagonistes, des spectateurs etc...
Donc certes, tu peux prendre une optique qui valorise la violence, mais ce n'est pas l'option par défaut
C'est "marrant" car j'en parlais justement avec mes élèves lundi. On étudie une œuvre plutôt violente (justement pour ouvrir la discussion sur le sujet de la violence dans l'art et les sensibiliser à ça), et pour le coup, ils ont trouvé ça plus frappant que les séries qu'ils regardent. Alors, je pense que le fait que c'était de la blanche et décrit en détails à jouer, tout comme le fait que ce soit une autobiographie. J'ai un élève qui m'a fait une réflexion intéressante, comme quoi c'était plus violent en livre parce qu'on ne nous imposait pas les images, que tout se passait dans notre tête et qu'on était en quelque sorte responsable de ce qu'on imaginait.
(oui, je fais des trucs bizarres avec mes élèves)

Cela étant, je ne pense pas que ce soit banaliser la violence. En général, on est en pdv interne, dans le ressenti du personnage, ce qui fait qu'on est dans l'empathie avec lui, qu'on est dans l'horreur de ce qu'il vit. Du coup, je pense qu'au lieu de banaliser la violence, ça permet de prendre conscience de son horreur et des séquelles qu'elle laisse.
Arya a écrit :
mer. janv. 16, 2019 2:40 pm
Et là, je pose le livre, un peu choquée par le cours de mes pensées et je commence à me remettre en question, je me dis : de quel droit, tu vas, toi, mettre en scène un attentat que tu n'as pas vécu.
Je pense que c'est quelque chose qu'on peut se poser pour tout. De quel droit décrivons-nous la guerre, nous qui ne l'avons pas vécu? De quel droit décrivons-nous la détresse de nos persos face aux épreuves qu'on leur donne (deuil d'un ami parti trop vite, violences physiques, et tous les trucs tordus qu'on invente)? Pour moi, l'important n'est pas de l'avoir vécu, mais de comprendre (ou du moins d'essayer, et de parvenir à quelque chose dans lequel ceux qui l'ont vraiment vécu peuvent se retrouver).
Arya a écrit :
mer. janv. 16, 2019 6:25 pm
Et surtout, comme vous le soulignez toutes et qui m'interpelle, c'est qu'en tant qu'auteur SFF, on place un filtre supplémentaire entre une réalité insoutenable et le récit. Comme vous, je ne pourrais pas (en tout cas pas aujourd'hui) traiter des attentats du 13 novembre, par exemple. Mais paradoxalement, j'envisage comme possible de mettre en scène un attentat imaginaire, déréalisé, presque onirique, tout en doutant de l'éthique, justement, à esthétiser une attaque à la bombe.
Je suis un peu dans ton cas avec L'Une d'Elles, car le sujet du roman rappelle pas mal les attentats. J'ai eu l'idée bien avant les attentats du 13 novembre, mais après, mon projet résonnait un peu différemment. Le sujet était déjà épineux à la base, alors après les attentats, ça me faisait encore plus bizarre, et parfois la peur de mal rendre ce dont je veux parler et de blesser des gens me bloque un peu. C'est vrai qu'on peut se demander s'il est bien "éthique" d'écrire ce genre de choses vu le contexte. Mais si ça peut ouvrir la discussion sur ces sujets, ça peut être bien aussi. Seulement, il faut encore faire plus attention pour que tout soit bien rendu.
Et puis, mine de rien, le prisme de l'imaginaire permet justement d'aborder ces sujets de façon détournée, qui à mon avis serait moins douloureuse pour les gens.
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Re: Esthétisation de la violence

Message par Dirga »

Nana a écrit :
mer. janv. 16, 2019 10:13 pm
J'ai un élève qui m'a fait une réflexion intéressante, comme quoi c'était plus violent en livre parce qu'on ne nous imposait pas les images, que tout se passait dans notre tête et qu'on était en quelque sorte responsable de ce qu'on imaginait.
(oui, je fais des trucs bizarres avec mes élèves)
:wow: J'aime ce que tu fais dans tes cours :heart: Et pour aller dans le sens de ce qu'a dit ton élève, je pense que l'écriture de romans est un rêve éveillé qu'on partage avec le lecteur. La violence dans nos textes,tout comme le rêve quand on dort, permet de métaboliser les traumatismes de la violence irl.
Je crois que ce n'est pas un divertissement mais qu'on éprouve de la fascination comme devant tout ce qu'on ne comprend pas et qu'il faut pourtant qu'on intègre dans notre vie. On dit que le protagoniste est celui qui souffre le plus : violence ! La littérature de l'imaginaire devrait être remboursée par la sécu :D

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Re: Esthétisation de la violence

Message par Marcus-dendrobate »

Je crois qu'en littérature, peut-être plus encore que dans d'autre formes artistiques de récits basées principalement sur le visuel (films, BD, etc.), il est difficile de se passer d'une forme d'esthétisation de la violence dans la mesure où l'écriture est le seul moyen d'évocation de la violence reçue ou infligée par le protagonistes du récit.

Cette esthétisation, surtout dans la fiction est un des seuls moyens pour créer une forme d'empathie entre le lecteurs et les protagonistes. On jouera soit sur le côté visuel, voir "gore" parfois et / ou sur le côté psychologique. Je dirais même qu'il faut jouer à fond sur le côté psychologique !

Car dans beaucoup de cas, la violence réelle, vue de l'extérieur (par exemple dans un documentaire ou un reportage TV) est loin d'être impressionnante, tout simplement parce que son déroulement s'avère trop rapide, trop brutale, d'où le côté "plat" de certains récits factuels d'attentats, etc. En réalité ce qui est le plus impressionnant pour les témoins, ce sont les conséquences.

Quant à ceux qui ont vécu des actes violents très sérieux, ils ne peuvent transmettre qu'imparfaitement leurs vécus respectifs, seuls ceux qui ont supporté des choses semblables peuvent immédiatement comprendre avec parfois peu de mots.

Pour les autres qui n'ont pas ce vécu, il est nécessaire de "tricher" un peu en esthétisant afin de faire passer le message aux ignorants. Ainsi, pour moi, en littérature (en particulier dans une fiction mais pas uniquement), l'esthétisation de la violence comme de l'horreur à pour vocation de dire l'indicible au plus grand nombre. Cela ne signifie pas qu'on se délecte de la violence.

Pour illustrer mon propos, je vous recommande la lecture d'un ouvrage très intéressant sur le récit qu'a écrit le journaliste américain Michael Herr durant ses reportages au Vietnam (entre 1967 et 1968). Il s'agit de Dispatches (en anglais) et Putain de mort (en français). Comment raconter la violence des hommes, des combats et toute l'horreur de la guerre sous la forme d'un kaléidoscope esthétisant digne d'une œuvre d'art moderne !
Pour faire un film, premièrement, une bonne histoire, deuxièmement, une bonne histoire, troisièmement, une bonne histoire. Henri-Georges Clouzot (cinéaste) :wow:

:marraine: de Crazy

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Re: Esthétisation de la violence

Message par Adé »

Arya a écrit :En ce moment, je réfléchis à mettre un attentat au coeur de mon prochain roman. Je lis beaucoup de témoignages de victimes et pour certains d'entre eux (je parle de livres publiés chez des éditeurs), j'ai cette pensée terrible : "c'est mal écrit, c'est plat, c'est tell". Je vous cite un exemple : "soudain, je vois une femme sortir du terminal, recouverte de sang, quand une vitre tombe du mur d'enceinte. La scène est horrible". En lisant ces deux phrases, sur le moment, je me suis vraiment dit qu'un auteur arriverait à faire ressentir l'horreur absolue de cette scène avec une plus grande efficacité que la victime qui témoigne de ce qu'elle a vécu. Et là, je pose le livre, un peu choquée par le cours de mes pensées et je commence à me remettre en question, je me dis : de quel droit, tu vas, toi, mettre en scène un attentat que tu n'as pas vécu. Tu vas faire de la fiction. Tu vas esthétiser la violence.

Comment vous vivez ça ? Comment vous vous autorisez ça ? Est-ce que ça a du sens ? Est-ce que ce n'est pas être un imposteur que de faire cela ? Est-ce que ce n'est pas noircir un monde qui n'en a pas besoin ?
Je pose ma petite réponse dans le coin aussi ^^

Je ne trouve pas que ce soit choquant, ce que tu as pensé. Tu ne dis pas que la victime n'est pas légitime à avoir vécu ou à raconter un attentat. Tu as juste l'air de dire que c'est dommage qu'elle n'ait pas eu les bons mots pour le faire. Et ça me semble important que certaines personnes puissent avoir les bons mots pour que les choses se ressentent comme il faudrait qu'elle se ressentent. Je vais dire un truc tout bête, mais les nouvelles générations, en tous les cas ceux qui n'ont pas vécus la guerre, ils ne vont pas se rappeler à quel point c'était atroce, à quel point il faudrait l'éviter, et ce n'est pas franchement les cours d'histoires et les témoignages qui vont les sensibiliser sur la question. Même si ce n'est pas les "vrais" mots, si ce sont les "bons", ceux qui font ressentir, ils sont forcément légitimes parce qu'ils font avancer les choses.
Et c'est pareil avec les attentats. Dans 30 ans, les jeunes à qui on parlera du 13 novembre, ils ne réagiront pas plus que ça, je pense, parce qu'ils n'auront pas vécu les évènements ni l'attente stressante autour. Je trouve que ça sert justement à ça, les textes de fictions. À faire revivre des choses et à se rendre compte.
Et du coup, je suis assez d'accord avec ceux qui disent qu'on a pas besoin d'avoir vécu telles choses pour les écrire.
Et comme d'autres, je ne pense pas qu'on "esthétise" la violence. On la met juste en scène ; au contraire, j'ai envie de dire qu'il faut la mettre en scène et faire ça avec intelligence si ça peut parfois ouvrir la conscience des lecteurs.
Arya a écrit :Je comprends la différence entre valoriser et esthétiser. Perso, je me posais vraiment la question sur l'esthétique. Vraiment loin de moi l'idée de valoriser ou de promouvoir la violence.
J'entends aussi bien ce que tu dis, Edel-Weiss, sur le fait que c'est un exercice auquel on se prête en permanence, mais oui, je crois que c'est l'aspect "faire du divertissement" avec ce thème qui me fait tiquer.
Je pense qu'on ne fait jamais que "du divertissement" (surtout en imaginaire), donc ça ne me semble pas horrible. Il y a des humoristes qui en parlent, et ce n'est pas non plus atroces - c'est une façon comme une autre d'en parler, de vivre avec, de passer outre, de dire des choses etc.

Et je m'interroge sur ce que tu veux dire par "esthétique". Pour moi, quelque chose d'esthétique, c'est quelque chose de "joli", et ça m'étonnerait que tu en fasses quelque chose de "jolis". Quelque chose de parlant, de brut, de puissant, d'horrible (parce que ça l'est), oui, mais "esthétique" ?

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sherkkhann
C'est moi que tu regardes ?
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Re: Esthétisation de la violence

Message par sherkkhann »

Coucou
En ce moment, je réfléchis à mettre un attentat au coeur de mon prochain roman. Je lis beaucoup de témoignages de victimes et pour certains d'entre eux (je parle de livres publiés chez des éditeurs), j'ai cette pensée terrible : "c'est mal écrit, c'est plat, c'est tell". Je vous cite un exemple : "soudain, je vois une femme sortir du terminal, recouverte de sang, quand une vitre tombe du mur d'enceinte. La scène est horrible". En lisant ces deux phrases, sur le moment, je me suis vraiment dit qu'un auteur arriverait à faire ressentir l'horreur absolue de cette scène avec une plus grande efficacité que la victime qui témoigne de ce qu'elle a vécu. Et là, je pose le livre, un peu choquée par le cours de mes pensées et je commence à me remettre en question, je me dis : de quel droit, tu vas, toi, mettre en scène un attentat que tu n'as pas vécu. Tu vas faire de la fiction. Tu vas esthétiser la violence.
Je trouve, pour ma part, que tu as raison quand tu dis qu'un auteur arriverait mieux à faire ressentir toute l'horreur de la scène. Mais pour moi, c'est parfaitement normal puisque tu es auteur justement, c'est ton job de manier la langue et les techniques d'écriture pour que les lecteurs puissent plonger dans ton bouquin, ce qui n'est pas du tout le job de la victime en question qui est là pour témoigner, avec ses mots à elle. Je vois les auteurs un peu comme des vecteurs émotionnels => on lit les témoignages, on s'imprègne, puis on écrit, on met en scène pour que le plus grand nombre puisse le vivre à son tour.
Comment vous vivez ça ? Comment vous vous autorisez ça ? Est-ce que ça a du sens ? Est-ce que ce n'est pas être un imposteur que de faire cela ? Est-ce que ce n'est pas noircir un monde qui n'en a pas besoin ?
Je pars du principe où un auteur est légitime sur absolument tous les sujets, peu importe que tu l'aies vécu ou non, je ne vois aucune imposture là-dedans, car comme je disais plus haut, c'est le job d'un auteur de se pencher sur n'importe quel sujet. Puis ce n'est pas parce qu'on vis quelque chose qu'on est plus efficace pour transmettre ça aux autres. C'est très difficile de bien raconter (sinon, personne ne serait ici :roll: ), il ne suffit pas de vivre quelque chose pour toucher les autres, je pense que pour toucher les autres, il faut savoir écrire, tout simplement.
Et comme d'autres, je ne pense pas qu'on "esthétise" la violence. On la met juste en scène ; au contraire, j'ai envie de dire qu'il faut la mettre en scène et faire ça avec intelligence si ça peut parfois ouvrir la conscience des lecteurs.
+1 avec les commentaires précédents. Mettre en scène la violence pour faire plonger son lecteur dans son livre, je trouve ça normal, c'est en aucun cas de la banalisation : on écrit pour vendre nos livres, ça reste de la fiction, et ce que les lecteurs attendent, c'est de ressentir ce que vit le protagoniste : pour ça, je pense qu'il faut forcément mettre en scène ce qu'il vit, que ce soit la violence ou l'amour ou autre.

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