Salut Arya (et tous),
Après une semaine de procrastination, je me décide à ajouter mon grain de sel (et de poivre bien pimenté) dans cette discussion sensible. J'y réfléchissais aussi ces jours-ci, en repassant sur les scènes les plus violentes de mon roman durant les corrections éditoriales et en me demandant comment j'ai pu écrire des choses pareilles en 2017.
(mais mon éditeur adore, alors tout va bien)
Arya a écrit : ↑mer. janv. 16, 2019 2:40 pm
Chère, cher camarade,
Il y a quelque chose qui me chiffonne en ce moment et j'aimerais bien avoir votre ressenti.
Nous écrivons des romans d'imaginaire, il nous arrive donc fréquemment de mettre en scène des batailles, des blessures, des trauma, des tortures, etc etc. Mais est-ce que d'une certaine façon, nous ne participons pas ainsi à banaliser la violence, voire à l'esthétiser ?
(…)
Comment vous vivez ça ? Comment vous vous autorisez ça ? Est-ce que ça a du sens ? Est-ce que ce n'est pas être un imposteur que de faire cela ? Est-ce que ce n'est pas noircir un monde qui n'en a pas besoin ?
Pour moi, la littérature risque moins de banaliser la violence que le cinéma ou les séries, car l'écriture implique de se plonger dans le point de vue d'un personnage, d'exprimer ses ressentis et ses sensations corporelles, et par là susciter l'empathie du lecteur. C'est un exercice délicat, car comme tu l'as souligné, comment transmettre avec justesse des traumas et de la violence subie si on ne l'a pas vécu, ou encore, comment se mettre dans le point de vue du "méchant" qui se livre à la violence ? Lire des témoignages de victimes peut être un premier pas pour aider à les comprendre, mais c'est souvent mal écrit. On peut tenter de s'imaginer comment on réagirait soi-même dans une telle situation, mais personne ne sait prévoir comment il réagira dans une situation d'urgence vitale. Certaines personnes se figent complètement, d'autres se découvrent des forces insoupçonnées. Peut-être prendre contact avec des associations de victimes et échanger avec l'une ou l'autre personne, si tu conserves ton idée ?
Je pense qu'une personne sensible, qui a l'habitude d'appliquer le "show Don't tell" dans ses écrits, ne court pas beaucoup de risques de faux pas dans le rendu de la violence ou du traumatisme ressenti suite à la violence. Cependant, l'attentat est un thème particulièrement délicat.
À mon avis, les documentaires comme celui de Lanzmann cité plus haut participent plus à la banalisation de la violence que les romans bien mis en scène, à cause justement du ton sec et dépouillé (pas d'empathie).
Un truc qui m'énerve particulièrement, sur écran comme par écrit, ce sont les héros qui subissent les pires épreuves et qui s'en relèvent le lendemain pour poursuivre leurs aventures comme si de rien n'était, car cela ne se passe pas du tout ainsi dans la réalité. Il faut des mois, voire des années, pour surmonter un trauma. Cette maladresse banalise la violence, car elle donne l'impression que ce n'est pas si grave puisqu'on reprend sa vie juste après comme si de rien n'était, et cela peut culpabiliser de vraies victimes, mal informées sur la longueur du processus de guérison, qui ont du mal à s'en remettre.
Une autre forme de banalisation de la violence, c'est la multitude de morts dans des batailles de fantasy ou de S-F, si les personnages guerriers tuent à tour de bras sans se poser de questions ou si les personnages qui évoluent en marge des combats trouvent ça tout à fait normal dans leur univers (oh, encore un cadavre dans le fossé, des brigands sont passés par ici).
Il y en a sans doute d'autres, mais ce sont ceux-là qui me viennent à l'esprit pour le moment.
Arya, j'ai lu quelques-uns de tes romans et je suis sûre que tu ne tomberas jamais dans un de ces travers !
Concernant le fait de lire et de regarder des oeuvres violentes, ma sensibilité est un peu comme celle d'Edel-Weiss (si tu es bizarre, je le suis tout autant !
). La violence dans un contexte contemporain, de littérature blanche, me met beaucoup plus mal à l'aise que dans les genres de l'imaginaire. On s'immerge plus facilement, on se dit que ce sont des choses qui pourraient parfaitement arriver au coin de la rue, ou nous arriver à nous, tandis que des orcs numériques trucidés par dizaines ne me font rien du tout.
L'écriture peut servir à évacuer des pulsions d'agressivité, des angoisses, des névroses, des psychoses… et c'est tout à fait normal, c'est même très sain ! Toutes les formes d'art peuvent ainsi sublimer le mal-être, et c'est pourquoi les psychiatres et psychologues recommandent à leurs patients de se trouver une activité créative pour aller mieux. Je l'ai donc découvert en écrivant et en corrigeant mon tome 2. Maintenant, avec un peu plus d'expérience, je sais que mes batailles et mes scènes dramatiques seront mieux réussies si je les écris / corrige dans des moments où je ne me sens psychologiquement pas bien (mais pas trop mal non plus, car là on ne fait plus rien !). Bien entendu, je ne vais pas me plomber le moral exprès pour écrire de plus beaux combats, mais je vais profiter d'un moment "down" pour réécrire ce genre de scène, et donner ainsi du sens à mes variations d'humeur.
JK Rowlings elle-même a expliqué dans ses interviews que les Détraqueurs ont exorcisé sa dépression ; en décrivant comment les personnages réagissent en présence d'un Détraqueur, elle racontait comment la dépression l'affectait elle-même, elle a donné un visage à sa maladie.
Enfin, pour répondre à la dernière question, le monde dans lequel on vit est sombre, qu'on écrive sur la violence ou pas. À moins de tomber dans les travers de la banalisation, on ne peut que sensibiliser à cette noirceur en la mettant en scène à notre manière d'écrivains, avec le "show Don't tell", et faire réfléchir à des travers de notre société en racontant des choses similaires qui se produisent dans un univers imaginaire.