Écrire sur le handicap
Posté : dim. janv. 27, 2019 10:05 pm
Bonjour,
je ne suis qu’une visiteuse très occasionnelle et mes rares posts se sont depuis longtemps perdus dans les limbes, mais j’ai vu passer récemment quelques textes sur le sujet du handicap dans le port incertain en réponse à un AT en cours. Comme c’est un sujet qui me touche personellement, j’ai décidé que c’était le moment de donner une perspective de personne handicapée sur ce sujet, qui est complexe.
Ce sera un peu long, mais j’espère informatif.
Tout d’abord, c’est quoi le handicap ?
C’est une collision entre un déficit particuliers, et l’environnement dans lequel la personne évolue. C’est une notion importante, car même si le handicap naît d’un déficit particulier, l’environnement est un aspect clé. Par exemple : Adrien est dyslexique dans une société dans laquelle 80% des gens sont analphabètes. Adrien pourra probablement vivre une vie totalement ordinaire malgré ses difficultés avec la lecture, il n’est pas handicapé. Est-ce qu’Adrien est éduqué dans un monastère où tous sont censés lire et écrire à la perfection ? Si oui, Adrien est maintenant handicapé par sa dyslexie. Sa vie en sera significativement affectée.
Par définition, les besoins d’une personne handicapée sont différents des besoins du plus grand nombre. C’est pour cette raison qu’elle est handicapée : parce que ses besoins sont différents de ceux de la majorité. La personne handicapée se heurte à des murs qui n'existent pas pour la plupart des autres.
Il existe des handicaps physiques, mentaux, psychiques. Certains sont visibles (cane blanche ou autre signe reconnaissable), d’autres non. Certains sont liés à une maladie, et une même personne sera moins handicapée à 20 ans qu’à 30. Parfois une personne est très handicapée en période de crise, presque pas en dehors des crises. Le handicap n’est pas toujours une valeur absolue, il peut être évolutif.
De quoi a besoin une personne handicapée ?
D’un environnement qui s’adapte à ses besoins. Ca veut dire des systèmes pour compenser le handicap, depuis une place de parking réservée jusqu’à un tiers temps aux examens, depuis un fauteuil roulant jusqu’à un AVS en classe. Ca implique aussi que la majorité (les personnes valides) fasse un certain effort pour répondre à des besoins qui ne sont pas les mêmes que les leurs. Ca coince très souvent, car les valides ne comprennent pas réellement ces besoins qui ne sont pas les leurs. Parfois ils s’IMAGINENT qu’ils savent de quoi une personne handicapée à besoin. Mais souvent ils se trompent, pas par méchanceté mais par manque d'information.
L’inclusion du handicap dans la société
En général, quand vous demandez à un/une valide de visualiser un futur positif pour le handicap, ils imaginent un monde dans lequel le handicap n’existe plus. Prouesses technologiques, génétiques ou peu importe, ce qu’ils imaginent d’un air réjoui est un monde dans lequel le handicap est éliminé comme par magie, et ils n’ont plus besoin de faire des efforts, de s’adapter à des besoins qui ne sont pas les leurs.
Une vision pareille est en général assez horrifiante pour les personnes concernées. Ils ne veulent pas ne plus exister, ni être "normaux", ils veulent être acceptés. Comme ils sont. Et oui. Ainsi contrairement à ce que pensent pas mal de valides, en général les handicapés ne sont pas des désespérés fantasmant une vie de valide. Quelqu’un qui utilise un fauteuil roulant n’est pas "prisonnier de son fauteuil roulant" (au contraire le fauteuil est un des trucs qui donne de la liberté, contrairement aux marches d’escaliers et aux comptoirs trop hauts).
D’autres part les valides ont souvent l’impression que les adaptations pour les handicapés sont des genres de faveur, voire des privilèges (alors même que la société dans son ensemble est largement adaptée aux besoins des valides en priorité, qui sont la majorité : transports en commun, voitures, appartements…). Il en sort une espèce de paranoia vis-à-vis des "faux handicapés" ou "pas assez handicapés".
Par exemple, vous avez déjà vu une personne en fauteuil roulant se lever pour prendre quelque chose ? Beaucoup de gens devant une telle scène pensent, indignés, qu’un valide se fait passer pour un handicapé dans l’espoir d’obtenir des avantages assez flous (la fameuse place de parking… ?). En réalité, un fauteuil roulant est trop encombrant pour qu’une telle ruse en vaille la peine, et en plus ça coûte cher ! Tout simplement, beaucoup de gens sont en fauteuil roulant parce que leur mobilité est limitée : ils peuvent faire trois pas, mais marcher cent mètres les épuise ; ils peuvent se lever, mais marcher est très douloureux. Ils se font regarder de travers parce qu'ils ne sont pas l’image d’Épinal du paralysé. Ce genre de soupçons se retrouvent pour tous les types de handicap.
En Science-Fiction, la question des prothèses
En Science-Fiction, les prothèses sont souvent la baguette magique par laquelle le handicap disparaît. J’aimerais vous éviter de tomber dans ce piège. Bien sûr, en SFF tout est toujours possible, mais si vous faites disparaître le handicap, vous ne parlez plus de handicap. Vous parlez du fantasme de valide dont j’ai parlé plus haut, et il y a peu de chance que ça parle aux lecteurs handicapés.
Dans la vraie vie, les prothèses sont des outils parmis d’autres permettant de compenser le handicap, mais elles ne sont jamais parfaites. Je vous invite à lire ce post (en anglais) qui explique les problèmes liés aux implants cochlear, c’est un très bon exemple : Cochlear implants.
Pour résumer : les valides aimeraient bien que les implants cochlear corrigent la surdité et en fassent un non-problème. Malheureusement ce n’est pas le cas ! Pour beaucoup de patients, ces implants ne permettent pas une audition parfaite, et les porteurs d’implants sont et restent mal-entendants. Mais la société attend d’eux qu’ils se comportent comme des personnes valides, et leur empêchent l’accès à d’autres techniques de compensation telle que le langage des signes. Un processus que cette blogueuse appelle "mainstreaming" (normalisation).
C’est horrible pour les enfants concernés, car leurs besoins sont niés, les objectifs qu’on leur impose irréalistes, et cela place des obstacles à leurs autres apprentissages. Sous couvert de les aider, on nie leur handicap et leur différence, et on en fait des névrosés. On ne devrait pas avoir besoin de faire semblant que quelqu’un est comme nous pour l’accepter. Accepter quelqu’un, c’est l’accepter avec sa différence.
Ce n’est qu’un exemple, mais on a le même résultat pour certaines thérapies destinées à « soigner » l’autisme, et dont l’objectif est en réalité d’entraîner les enfants autistes à paraître plus normaux. (Là aussi, on retrouve beaucoup d’adultes névrosés et au bord du burn-out).
Mais alors, comment bien écrire une prothèse ultra-cool du futur ?
Vous connaissez le manga Full Metal Alchemist ? C’est un excellent exemple. Edward, le personnage principal, a perdu un bras et une jambe. Il porte des prothèses appelées automail qui sont très performantes. Mais :
La même logique s'applique aux médicaments.
Comment se documenter sur un handicap en particulier
Ne vous limitez pas à des sources du style wikipédia. Ne vous limitez surtout pas à ce que vous croyez savoir par les romans / séries / films que vous avez vus. Écoutez en priorité les personnes concernées. Il y a des milliers de blogs de gens qui relatent leur expérience et leur quotidien. De nombreux témoignages sont à votre portée, profitez-en, prenez une ou deux soirées pour vous imerger dans leur univers.
Je vous invites aussi à écouter cette table ronde des Utopiales: https://www.actusf.com/detail-d-un-arti ... n-handicap
Voilà, il y aurait encore plus à dire, mais je vais pas écrire un roman ! Bonne écriture et n’hésitez pas à poser des questions.
je ne suis qu’une visiteuse très occasionnelle et mes rares posts se sont depuis longtemps perdus dans les limbes, mais j’ai vu passer récemment quelques textes sur le sujet du handicap dans le port incertain en réponse à un AT en cours. Comme c’est un sujet qui me touche personellement, j’ai décidé que c’était le moment de donner une perspective de personne handicapée sur ce sujet, qui est complexe.
Ce sera un peu long, mais j’espère informatif.
Tout d’abord, c’est quoi le handicap ?
C’est une collision entre un déficit particuliers, et l’environnement dans lequel la personne évolue. C’est une notion importante, car même si le handicap naît d’un déficit particulier, l’environnement est un aspect clé. Par exemple : Adrien est dyslexique dans une société dans laquelle 80% des gens sont analphabètes. Adrien pourra probablement vivre une vie totalement ordinaire malgré ses difficultés avec la lecture, il n’est pas handicapé. Est-ce qu’Adrien est éduqué dans un monastère où tous sont censés lire et écrire à la perfection ? Si oui, Adrien est maintenant handicapé par sa dyslexie. Sa vie en sera significativement affectée.
Par définition, les besoins d’une personne handicapée sont différents des besoins du plus grand nombre. C’est pour cette raison qu’elle est handicapée : parce que ses besoins sont différents de ceux de la majorité. La personne handicapée se heurte à des murs qui n'existent pas pour la plupart des autres.
Il existe des handicaps physiques, mentaux, psychiques. Certains sont visibles (cane blanche ou autre signe reconnaissable), d’autres non. Certains sont liés à une maladie, et une même personne sera moins handicapée à 20 ans qu’à 30. Parfois une personne est très handicapée en période de crise, presque pas en dehors des crises. Le handicap n’est pas toujours une valeur absolue, il peut être évolutif.
De quoi a besoin une personne handicapée ?
D’un environnement qui s’adapte à ses besoins. Ca veut dire des systèmes pour compenser le handicap, depuis une place de parking réservée jusqu’à un tiers temps aux examens, depuis un fauteuil roulant jusqu’à un AVS en classe. Ca implique aussi que la majorité (les personnes valides) fasse un certain effort pour répondre à des besoins qui ne sont pas les mêmes que les leurs. Ca coince très souvent, car les valides ne comprennent pas réellement ces besoins qui ne sont pas les leurs. Parfois ils s’IMAGINENT qu’ils savent de quoi une personne handicapée à besoin. Mais souvent ils se trompent, pas par méchanceté mais par manque d'information.
L’inclusion du handicap dans la société
En général, quand vous demandez à un/une valide de visualiser un futur positif pour le handicap, ils imaginent un monde dans lequel le handicap n’existe plus. Prouesses technologiques, génétiques ou peu importe, ce qu’ils imaginent d’un air réjoui est un monde dans lequel le handicap est éliminé comme par magie, et ils n’ont plus besoin de faire des efforts, de s’adapter à des besoins qui ne sont pas les leurs.
Une vision pareille est en général assez horrifiante pour les personnes concernées. Ils ne veulent pas ne plus exister, ni être "normaux", ils veulent être acceptés. Comme ils sont. Et oui. Ainsi contrairement à ce que pensent pas mal de valides, en général les handicapés ne sont pas des désespérés fantasmant une vie de valide. Quelqu’un qui utilise un fauteuil roulant n’est pas "prisonnier de son fauteuil roulant" (au contraire le fauteuil est un des trucs qui donne de la liberté, contrairement aux marches d’escaliers et aux comptoirs trop hauts).
D’autres part les valides ont souvent l’impression que les adaptations pour les handicapés sont des genres de faveur, voire des privilèges (alors même que la société dans son ensemble est largement adaptée aux besoins des valides en priorité, qui sont la majorité : transports en commun, voitures, appartements…). Il en sort une espèce de paranoia vis-à-vis des "faux handicapés" ou "pas assez handicapés".
Par exemple, vous avez déjà vu une personne en fauteuil roulant se lever pour prendre quelque chose ? Beaucoup de gens devant une telle scène pensent, indignés, qu’un valide se fait passer pour un handicapé dans l’espoir d’obtenir des avantages assez flous (la fameuse place de parking… ?). En réalité, un fauteuil roulant est trop encombrant pour qu’une telle ruse en vaille la peine, et en plus ça coûte cher ! Tout simplement, beaucoup de gens sont en fauteuil roulant parce que leur mobilité est limitée : ils peuvent faire trois pas, mais marcher cent mètres les épuise ; ils peuvent se lever, mais marcher est très douloureux. Ils se font regarder de travers parce qu'ils ne sont pas l’image d’Épinal du paralysé. Ce genre de soupçons se retrouvent pour tous les types de handicap.
En Science-Fiction, la question des prothèses
En Science-Fiction, les prothèses sont souvent la baguette magique par laquelle le handicap disparaît. J’aimerais vous éviter de tomber dans ce piège. Bien sûr, en SFF tout est toujours possible, mais si vous faites disparaître le handicap, vous ne parlez plus de handicap. Vous parlez du fantasme de valide dont j’ai parlé plus haut, et il y a peu de chance que ça parle aux lecteurs handicapés.
Dans la vraie vie, les prothèses sont des outils parmis d’autres permettant de compenser le handicap, mais elles ne sont jamais parfaites. Je vous invite à lire ce post (en anglais) qui explique les problèmes liés aux implants cochlear, c’est un très bon exemple : Cochlear implants.
Pour résumer : les valides aimeraient bien que les implants cochlear corrigent la surdité et en fassent un non-problème. Malheureusement ce n’est pas le cas ! Pour beaucoup de patients, ces implants ne permettent pas une audition parfaite, et les porteurs d’implants sont et restent mal-entendants. Mais la société attend d’eux qu’ils se comportent comme des personnes valides, et leur empêchent l’accès à d’autres techniques de compensation telle que le langage des signes. Un processus que cette blogueuse appelle "mainstreaming" (normalisation).
C’est horrible pour les enfants concernés, car leurs besoins sont niés, les objectifs qu’on leur impose irréalistes, et cela place des obstacles à leurs autres apprentissages. Sous couvert de les aider, on nie leur handicap et leur différence, et on en fait des névrosés. On ne devrait pas avoir besoin de faire semblant que quelqu’un est comme nous pour l’accepter. Accepter quelqu’un, c’est l’accepter avec sa différence.
Ce n’est qu’un exemple, mais on a le même résultat pour certaines thérapies destinées à « soigner » l’autisme, et dont l’objectif est en réalité d’entraîner les enfants autistes à paraître plus normaux. (Là aussi, on retrouve beaucoup d’adultes névrosés et au bord du burn-out).
Mais alors, comment bien écrire une prothèse ultra-cool du futur ?
Vous connaissez le manga Full Metal Alchemist ? C’est un excellent exemple. Edward, le personnage principal, a perdu un bras et une jambe. Il porte des prothèses appelées automail qui sont très performantes. Mais :
- Installer ces prothèses et apprendre à les utiliser est très douloureux, car elles sont connectées au système nerveux. La maintenance aussi est douloureuse. Pour cette raison, il est totalement normal et accepté de ne pas vouloir d’automail. Beaucoup de vétérans de guerre préfèrent une jambe de bois plus classique, bien que ce soit moins pratique au quotidien, et ils ne sont pas considérés comme des extrémistes qui refusent la normalité par idéologie.
- Les automails sont aussi très chers, tout le monde ne peut pas s’en payer
- Les automails sont supérieurs aux membres de chair dans certains cas de figure, mais ont aussi des problèmes spécifiques. Edward ne peut pas s’exposer à des températures trop extrêmes, car ses membres de métal lui brûleraient la peau, impossible de traverser le long désert qui borde Amestris. Ils peuvent aussi mal fonctionner, perdre une vis, se coincer, etc. Et ils doivent être entretenus régulièrement.
La même logique s'applique aux médicaments.
Comment se documenter sur un handicap en particulier
Ne vous limitez pas à des sources du style wikipédia. Ne vous limitez surtout pas à ce que vous croyez savoir par les romans / séries / films que vous avez vus. Écoutez en priorité les personnes concernées. Il y a des milliers de blogs de gens qui relatent leur expérience et leur quotidien. De nombreux témoignages sont à votre portée, profitez-en, prenez une ou deux soirées pour vous imerger dans leur univers.
Je vous invites aussi à écouter cette table ronde des Utopiales: https://www.actusf.com/detail-d-un-arti ... n-handicap
Voilà, il y aurait encore plus à dire, mais je vais pas écrire un roman ! Bonne écriture et n’hésitez pas à poser des questions.