Sytra a écrit : ↑jeu. avr. 18, 2019 10:35 am
Mais certains auteurs ont le défaut de ne voir leur personnage handicapé qu'au travers de leur handicap. Ils ne vont utiliser ce personnage que dans des situations qui mettent en exergue ce handicap, ne vont construire l'histoire de ce personnage qu'au travers des obstacles que ce handicap l'amène à surmonter. Ce qui donne l'impression qu'une personne handicapée n'est rien d'autre que son handicap.
En fait, ce que tu veux dire, c'est qu'il ne faut pas réduire quelqu'un à son handicap (même si pour les cas les plus lourds / graves, c'est malheureusement difficile de faire autrement).
Par contre, de mon côté, je pense que lorsqu'on "affuble" un personnage d'un handicap, ça doit au contraire être complètement intégré dans sa caractérisation, dans des petits détails des son quotidien.
Sinon, tu tombes dans le "Show, don't tell" : tu me dis qu'il est handicapé, alors que dans les faits, à la lecture, il est "normal".
C'est pour moi un vrai travers / défaut de caractérisation.
Quand on est en situation de handicap, ça peut nous atteindre / influencer de diverses façons, et tant qu'à faire, en tant qu'auteur, il vaut mieux l'utiliser voire même s'en servir pour l'intrigue. Car il ne faut pas rêver, au quotidien, les personnes concernées ont les mêmes problèmes que M. et Mme Tout-Le-Monde, plus ou moins "aggravés" ou plus difficiles à surmonter selon la situation de handicap à laquelle elles font face. Pour certains et certaines, tout est plus difficile, tout le temps. Et cette "usure" au quotidien, certains de ces petits combats qu'on doit remporter à chaque instant, cela demande énormément d'énergie qui parfois nous mettent sur les rotules plus vite, parfois jusqu'à s'effondrer d'épuisement. Par contre, ça apporte aussi côté personnalité, mais chaque humain s'approprie sa situation à sa façon, donc ce qui va rendre certains plus forts va en user d'autres jusqu'à la corde (ce qui peut aller jusqu'à la dépression / tentative de suicide).
Un exemple concret ?
Le mois dernier, j'ai oublié mes prothèses et je ne m'en suis aperçue qu'une fois sur le parking, au boulot.
Une cata, pour moi, côté professionnel, car l'impact est lourd.
> prévenir mes collègues les plus proches (leur demander de passer le mot si besoin)
> éviter de quitter mon bureau de peur de ne pas entendre quelqu'un m'interpeler et de passer pour une connasse qui ne répond pas (c'est du vécu...)
> report des réunions / tours de table que j'avais programmés (et je me suis excusée pour ceux organisés par d'autres collègues sur lesquels je n'avais pas la main)
> impression d'être complètement repliée dans une bulle (je me suis habituée au "bruit de fond" côté pro, sans lui je suis en tête à tête avec mon acouphène et j'ai l'impression d'être coupée de mes collègues)
> je n'ai pas pu avoir une seule conversation "normale" / "naturelle" avec ma coloc de bureau, et d'ailleurs je me suis cachée derrière elle toute la journée pour récupérer des infos à ma place.
> nous avons pris le parti d'en rire, mais là j'ai bien vu à quel point je suis dépendante de ces trucs qui coûtent un salaire / oreille.
Si je devais avoir un personnage malentendant dans un roman, forcément je me poserais la question de le placer dans une telle situation, sous condition que ça serve l'intrigue et son évolution personnelle, car le tort serait de lui en mettre "plein la figure" de façon gratuite, juste pour ajouter du pathos. Mais par contre, nier sa situation de handicap en ne pointant pas du doigt toutes les emmerdes qu'elle entraîne, bah pour moi c'est un ratage total de caractérisation, ça veut juste dire qu'on lui refile une caractéristique 'pour faire style' mais qu'on ne l'assume pas ni dans les petits détails ni dans ses aspects les plus pénibles.
Alors qu'être en situation de handicap, c'est souffrir de diverses formes de pénibilité
tous les jours,
tout les temps, ou presque.
Et le fait que le handicap soit compensé, comme dans mon cas, a ses propres travers.
Qui vont se heurter aux contraintes de l'environnement.
Dans le cadre d'un roman post-apo, par exemple : quand il n'y aura plus de piles, les jolies prothèses audio ne serviront plus à rien pour les malentendant. Et tous les myopes finiront potentiellement par ne plus trouver de lunettes et se trouver à leur tour en situation de handicap.
Quant à ceux qui dépendent d'un médicament ou d'un appareillage pour vivre, leur existence est condamnée à court ou moyen terme s'ils n'arrivent pas (avec ou sans l'aide des autres personnages) à trouver une solution avant de tomber en rade.
Ce sont autant de détails qui ne doivent pas être laissés de côté. Au contraire, bien exploités, ils peuvent servir l'intrigue et la tension dramatique.
En résumé, prétendre qu'un personnage est ceci ou cela et ne pas le montrer / l'exploiter dans des petits détails de son quotidien, pour moi, c'est du "Show don't tell" et / ou un défaut de caractérisation.
Qu'on le veuille ou non, notre situation de handicap nous caractérise et le nier, c'est nier les difficultés auxquelles nous sommes confrontés.
Après, on est bien d'accord que personne n'a envie d'être réduit à ça, cependant il faut trouver un équilibre.