Epousseter le superflu

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Eva
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Epousseter le superflu

Message par Eva »

Dans son essai autobiographique "Algernon, Charlie et moi", l'écrivain Daniel Keyes raconte comment il a développé et amélioré son style.

A ses débuts, on lui donne le conseil suivant :
Pour bien écrire, il faut secouer chaque feuillet pour faire tomber tous les mots et les phrases inutiles.
Keyes fait ensuite le rapprochement entre ce conseil et le style d'Hemingway :
Et c'est comme cela qu'[Hemingway] a réussi, en époussetant le superflu.
Plus tard, il explique de quelle façon il a appliqué ce principe pour corriger sa célèbre nouvelle Des fleurs pour Algernon. (Pour ceux qui ne connaissent que le roman, cette histoire est en fait née sous la forme d'une nouvelle. Keyes ne l'a adaptée en roman que plus tard, au prix d'un travail de plusieurs années.)

La première version de son texte faisait trente mille mots et son éditeur lui demandait d'en couper dix mille. Il y est parvenu sans raccourcir l'histoire elle-même, mais en appliquant le conseil d'époussetage et en secouant ses feuillets :
j'ai biffé tous les mots et paragraphes qui n'étaient pas absolument nécessaires. (...) Je me suis débarrassé des adverbiages et des pronombreuseries, des expressions redondantes et des digressions. Prenons : "Des phrases comparables à celle-ci, qui s'avançaient trop pesamment avec une floppée de petits mots, ont été corrigées." C'est devenu, après révision : "J'ai corrigé des phrases trop pesantes." On est passé ainsi de vingt mots à sept, sans changer le sens.
Ça pourra peut-être vous servir pour vos corrections (ou si vous devez raccourcir un texte ;)).
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Markus Kane
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Re: Epousseter le superflu

Message par Markus Kane »

J'ai toujours eu, dans la plupart des arts, ce mépris du mépris envers le futile. L'art est futile, l'art s'emplit de futilité. Prenez un tableau, il ne servira que vaguement de bon combustible.
Pour reprendre l'exemple de Keyes, la première version qu'il donne de sa phrase est la plus croustillante, tout bonnement car elle donne une dimension supérieur à une simple sémantique (même si le début est lourd, je le conçoit). Il n'est plus question de phrase lourde et gauche, mais de véritable sac de billes, qui endolorit de son poids le poignet frêle du lecteur.
Mais, certains se perdent aisément en futilité, et conçoivent une certaine profondeur par divageurie et autre légèreté.
L'art est futile, mais est surtout utile. Paradoxale, certes, humains, surtout.
Pour me paraphraser, je dirais simplement que, l'art que je conçois, conception proche autant de Nietzsche que de Kandinsky, se veut plaisant et intelligent, se veut harmonie d'une dissonance de l'hybris et d'un ordre de l'hygie (santé).

Mais pour épurer un texte, il a fortement raison.
Spoiler: montrer
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Eva
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Re: Epousseter le superflu

Message par Eva »

Je pense que tu passes à côté du message. Le conseil donné ici n'a aucune raison d'amoindrir la portée artistique d'un texte. Au contraire, en débarrassant un texte de ses lourdeurs - de son superflu - on le rend plus fort.
Par ailleurs, attention à ne pas confondre richesse du style et fioritures. Une phrase complexe et alambiquée n'a rien de particulièrement admirable, et elle ne démontre pas la dextérité de son auteur. La vraie difficulté, c'est de donner à son style force, justesse et fluidité sans tomber ni dans une trop grande simplicité, ni dans une surcharge d'embellissements.
A mon avis, l'époussetage du superflu est un bon conseil pour un auteur qui débute : j'ai vu passer pas mal de premiers textes, dont les miens, qui méritaient un bon coup de plumeau.
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Ifuldrita
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Re: Epousseter le superflu

Message par Ifuldrita »

Sujet très intéressant...
En simplifiant, j'ai toujours peur de tomber dans un style plus adapté aux enfants / ado, probablement à tort :rougit:
La prochaine fois que je relirai mes auteurs préférés (Margaret Weis en tête !), j'essaierai de regarder ça sous l'angle du plumeau ;p
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ilham
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Re: Epousseter le superflu

Message par ilham »

On peut écrire simplement et admirablement...
je suis fanatique de Camus ( ce n'est pourtant pas de la littérature pour enfant ! ;) ), et encore plus de certains auteurs libanais qui sous une apparence très simple, parviennent à une légereté, à une poésie qui coule toute seule...

Après tout dépend de nos défauts d'écriture.
On peut en faire trop au premier jet ou au contraire être trop sec ( j'ai connu les deux cas! ) Je me souviens surtout de scènes redondantes, inutiles... Il est clair, à mon avis, qu'il faut savoir les éliminer même si on les adore car elles n'apportent rien à l'histoire.
Aller à l'essentiel, trouver la substantifique moelle, je suis assez d'accord... ;)
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Sizel
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Re: Epousseter le superflu

Message par Sizel »

L'idée me parle même si le juste milieu n'est pas facile à trouver.

Personnellement, j'ai du mal à trouver le bon dosage en ce qui concerne les descriptions où je nage facilement dans le trop peu ou le trop lourd. En ce moment, je suis dans une phase de simplification excessive et il va falloir que j'enrichisse un peu certains passages de mon projet lors de la relecture !
Modifié en dernier par Sizel le mar. févr. 03, 2015 11:17 am, modifié 1 fois.

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Any
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Re: Epousseter le superflu

Message par Any »

Personnellement, je pense que tout dépend le but recherché.

Certains auteurs veulent un style remarqué. Parfois le lecteur va se dire "Tiens cette phrase là, elle est sublime" et sortir de sa lecture. Le style est alors une composante à part entière du récit.
D'autres auteurs préfèrent que le style s'efface au profit de l'histoire. Au point qu'on oublie presque que cette histoire là, il y a quelqu'un derrière.
Je pense donc que c'est une question de choix. Et qu'il y a un public pour chacun.

Pour un auteur débutant, le choix est peut-être plus difficile par méconnaissance des règles/codes, qu'il faut connaître pour décider ou non de les appliquer. Les conseils d'époussetage me semblent du coup intéressants, parce qu'ils obligent l'auteur à se demander si il veut ou non garder ces éléments et donc, à les reconnaître.

Moi j'essaie plutôt de m'effacer et donc d'avoir un style épuré. Et c'est un sacré boulot. :fatigue:

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ilham
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Re: Epousseter le superflu

Message par ilham »

Oui, sauf que avoir du "style" cela ne veut pas dire uniquement faire de longues phrases complexes... C'est un amalgame très français, je crois. Un syndrome "proustien" presque. Alors qu'on peut écrire de très beaux textes sans fioritures.
Lisez le petit prince. C'est accessible aux enfants et pourtant c'est d'une poésie, une beauté...
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Anonyme_Quatre

Re: Epousseter le superflu

Message par Anonyme_Quatre »

Yep, mais cette éloge du style sec ne me paraît pas non plus la seule ligne de conduite bonne à tenir ;) Pour certaines histoires, des styles plus complexes sont succulents également.
Donc, il en faut pour tous les goûts, que ce soit parce qu'on aime écrire ainsi, soit parce qu'on aime lire d'une autre manière ^.^ Ce n'est pas une règle, c'est une préférence de l'auteur.

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ilham
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Re: Epousseter le superflu

Message par ilham »

Oui après c'est une question de gout, tout à fait.
Chacun a sa façon de faire au final. Un style c'est d'abord une identité, une patte que l'on reconnait au premier coup d’œil. D'apparence simple ou plus élaboré. Je dis bien apparence car ce n'est pas plus facile d'écrire de façon simple mais agréable contrairement à ce que l'on croit...
Mais on rejoint là aussi le problème des débutants qui ont quasiment tous le défaut d'alourdir leur récit par des éléments inutiles, redondants, que ce soit au niveau de la phrase ou du récit lui même. C'est une réalité à ne pas oublier quand on débute. Après, avec l'expérience, d'autres éléments i entrent en jeu et complexifient cette idée de base, c'est tout à fait vrai ;).
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Anonyme_Quatre

Re: Epousseter le superflu

Message par Anonyme_Quatre »

On trouve également l'inverse de jeunes écrivains qui oublient de décrire, passent uniquement par les dialogues, et ne font que raconter ce qu'il se passe ^.^

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ilham
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Re: Epousseter le superflu

Message par ilham »

Oui aussi,
Il existe une foultitude de défauts que l'on peut relever. Ce n'est pas tout à fait le sujet, je crois ;).
Après, il existe d'excellents romans sans réellement de descriptions. Je suis en train de relire l'étranger de Camus. Aucune description dans le premier chapitre. Rien que des faits... Et ça en pose aucun probleme.
Après, on aime ou pas. C'est une autre histoire.
Les dialogues... Je me souviens d'en avoir abusé à cause de cette fichue tendance à la redondance justement ;).
On revient donc au principe d'élaguer le superflu ;).
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Anonyme_Quatre

Re: Epousseter le superflu

Message par Anonyme_Quatre »

Il ne s'étale pas dans les descriptions, mais il y en a :) Notamment de la campagne, du trajet à l'église, et ça pose tout une ambiance ! Si ce n'était rien que des faits, ça serait bien triste (déjà que c'est gai)

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ilham
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Re: Epousseter le superflu

Message par ilham »

J'ai le texte sous les yeux. ;)
Dans les toutes premières pages, non. Absolument aucune description.
Encore moins sur le trajet du début.
Ensuite, un peu plus loin sur la campagne. Je ne considère pas qu'une "campagne lumineuse gorgée de soleil" soit une réelle description... Une véritable description détaillerait cette campagne qui n'est pas normande, alpine ou au bretonne. C'est ce qu'on apprend classiquement. Or on ne sait rien de cette campagne à part cette présence éclatante de lumière. Ce n'est donc qu'un élément factuel. Y'a du soleil.
Alors oui, ça pose une ambiance. C'est tout à fait vrai. Mais pour moi ( et c'est l'analyse littéraire qui en est faite) dans ce chapitre c'est justement l'accumulation d'éléments factuels qui pose l'ambiance, pas les quelques traces descriptives que l'on peut dénicher par ci par là.
J'ai d'autres bouquins en tête où c'est à peu près la même chose. Notamment des polars. Très peu de descriptions. C'est un choix.
J'ai également lu des petits textes à droite où à gauche d'apprentis comme nous et ça passait très bien, avec beaucoup de dialogues, aucune description.
Y'a pas de règle en la matière.
Maintenant, je comprends que tu puisses aimer autre chose.
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Re: Epousseter le superflu

Message par Eva »

Nariel Limbaear a écrit :Yep, mais cette éloge du style sec ne me paraît pas non plus la seule ligne de conduite bonne à tenir ;)
Je ne suis pas sûre que l'époussetage conseillé ici conduise à un style sec. La phrase donnée en exemple peut sembler sèche, mais ce n'est qu'un exemple, et Keyes est loin de n'utiliser que des phrases aussi courtes dans ses romans. Et pour moi, un style "riche" n'est réussi que s'il conserve fluidité et élégance, donc la méthode de correction décrite s'y applique tout aussi bien.

Keyes faisait partie de ces débutants dont les premiers textes étaient trop verbeux et on lui a donné un conseil adapté à ses défauts. (Par ailleurs, on lui a aussi reproché d'avoir des personnages qui manquent de profondeur et d'utiliser trop de clichés. Lisez "Des fleurs pour Algernon" et vous verrez quels progrès il a fait.) Tout le monde ne rencontre pas les mêmes soucis, mais c'est toujours intéressant de savoir par quels écueils sont passés des écrivains confirmés, et comment ils se sont améliorés.
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