Esthétisation de la violence

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Hikari
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Re: Esthétisation de la violence

Message par Hikari »

Je viens mettre mon grain de sel parce que je me posais aussi la question face à mon challenge actuel: est-ce que je vais passer pour une imposteure de parler de mariage juvénile alors que je ne l'ai jamais vécu moi-même ?

Je crois que tout est dans la manière de le raconter. On est auteur: on raconte une histoire et notre boulot est de faire plonger le lecteur dans notre monde, qu'il s'identifie au personnage. Banaliser la violence pour moi serai plutôt de dire "bah elle s'est mariée à 9 ans, mais le monde continue de tourner" ou bien une scène extrêmement violente juste pour le "choc value", comme décrire le viol d'une victime de meurtre sans que ça n'apporte quoi que ce soit à l'histoire autre que "wow c'était attroce !".

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kyaramoe
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Re: Esthétisation de la violence

Message par kyaramoe »

sherkkhann a écrit :
ven. janv. 18, 2019 6:29 pm
Comment vous vivez ça ? Comment vous vous autorisez ça ? Est-ce que ça a du sens ? Est-ce que ce n'est pas être un imposteur que de faire cela ? Est-ce que ce n'est pas noircir un monde qui n'en a pas besoin ?
Je pars du principe où un auteur est légitime sur absolument tous les sujets, peu importe que tu l'aies vécu ou non, je ne vois aucune imposture là-dedans, car comme je disais plus haut, c'est le job d'un auteur de se pencher sur n'importe quel sujet. Puis ce n'est pas parce qu'on vis quelque chose qu'on est plus efficace pour transmettre ça aux autres. C'est très difficile de bien raconter (sinon, personne ne serait ici :roll: ), il ne suffit pas de vivre quelque chose pour toucher les autres, je pense que pour toucher les autres, il faut savoir écrire, tout simplement.
Je suis totalement d'accord avec toi, je n'ai pas vécu la moitié des choses qui se passent dans mon roman pourtant je l'écris quand même. Hergé n'a jamais été au Congo pourtant il a dessiné Tintin au Congo (avec la vision flouée des hommes de son époque).

Quelqu'un a aussi dit à juste titre qu'on faisait du divertissement, et ça m'a fait penser à l'épisode interactif de Black mirror où on peut (soi disant) influencer les décisions du personnage. A un moment on a le choix de tuer son père, et mon copain a bondit dessus pour choisir cette option plutôt que l'autre. Dans ma tête je me suis dit "Non, on ne va quand même pas tuer son père?" j'ai même plissé les yeux pour ne pas voir le résultat de notre choix, puis après je me suis reprise... je me suis dit que j'étais en face d'une fiction, que c'était un divertissement et que ce n'étaient que des acteurs qui ne souffraient pas pour de vrai. Un individu sain et équilibré sait faire la différence entre la violence dans le monde réel et la violence dans la fiction, donc user de violence dans ses écrits n'est pas un problème éthique à mon sens, l'esthétiser encore moins. Sinon alors on ne s'autorise plus non plus les têtes de mort sur les tee-shirt : une de mes collègues m'a une fois fait remarqué "tu te rends compte que tu as le dessin d'un cadavre sur ton tee-shirt?", j'ai répondu "oui, il est beau".
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sherkkhann
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Re: Esthétisation de la violence

Message par sherkkhann »

kyaramoe a écrit :
ven. janv. 18, 2019 11:10 pm
Quelqu'un a aussi dit à juste titre qu'on faisait du divertissement, et ça m'a fait penser à l'épisode interactif de Black mirror où on peut (soi disant) influencer les décisions du personnage. A un moment on a le choix de tuer son père, et mon copain a bondit dessus pour choisir cette option plutôt que l'autre. Dans ma tête je me suis dit "Non, on ne va quand même pas tuer son père?" j'ai même plissé les yeux pour ne pas voir le résultat de notre choix, puis après je me suis reprise... je me suis dit que j'étais en face d'une fiction, que c'était un divertissement et que ce n'étaient que des acteurs qui ne souffraient pas pour de vrai. Un individu sain et équilibré sait faire la différence entre la violence dans le monde réel et la violence dans la fiction, donc user de violence dans ses écrits n'est pas un problème éthique à mon sens, l'esthétiser encore moins. Sinon alors on ne s'autorise plus non plus les têtes de mort sur les tee-shirt : une de mes collègues m'a une fois fait remarqué "tu te rends compte que tu as le dessin d'un cadavre sur ton tee-shirt?", j'ai répondu "oui, il est beau".
Je n'ai pas vu l'épisode dont tu parles, mais j'aurai choisi la même option que ton copain :lol: Justement parce que c'est sans doute la pire, et qu'en tant que spectateur, j'aime voir les pires conséquences, je préfère quand l'oeuvre part en vrille. En fait, je ne vois aucune conséquence à cette violence dans la fiction, dans le monde réel. En vrai, comme tu dis, si le lecteur/spectateur est sain d'esprit, il ne sera pas influencé.
timioko a écrit :
mer. janv. 16, 2019 3:53 pm
La violence n'a pas besoin des auteurs pour être banaliser, au contraire les auteurs savent lui donner un sens, là où en réalité elle n'en a pas.
Esthetiser par contre oui: on esthetise tout mais ce n'est pas un mal. Au contraire même l'esthétique permet la juste distance, celle qui rappelle qu'on est dans de l'art, du fantasme et pas dans le réel.
Je suis tout à fait d'accord avec ça. Je trouve que c'est important l'esthétique dans un roman, déjà comme tu dis, pour mettre une distance avec la réalité, puis pour que ce soit attrayant et vendeur. Même si souvent, les auteurs essaient de transmettre de vrais messages à travers leurs œuvres, je pense qu'il est important de ne pas oublier qu'un roman, aussi engagé soit-il, reste du divertissement, de la mise en scène, du fantasme.
Est-ce que ce n'est pas noircir un monde qui n'en a pas besoin ?
Je n'avais pas eu le temps de rebondir là-dessus alors j'y reviens. Je ne pense pas que les auteurs noircissent le monde en faisant ça. On prend juste un aspect de notre monde et on travaille dessus, on le met en scène pour X raisons : pour susciter une réaction ou une prise de conscience, ou bien pour les besoins de son intrigue. Je pense, au contraire, qu'on a parfois besoin de ce genre de romans violents pour réussir à comprendre la même violence IRL, peut être une violence qu'on a tous les jours sous le nez et qu'on a pas vu, car pas assez flagrante, ou alors que les victimes ne nous touchent pas donc on voit rien, contrairement au personnage du roman qui est en train de la subir.

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Edel-Weiss
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Re: Esthétisation de la violence

Message par Edel-Weiss »

kyaramoe a écrit :
ven. janv. 18, 2019 11:10 pm
Quelqu'un a aussi dit à juste titre qu'on faisait du divertissement, et ça m'a fait penser à l'épisode interactif de Black mirror où on peut (soi disant) influencer les décisions du personnage. A un moment on a le choix de tuer son père, et mon copain a bondit dessus pour choisir cette option plutôt que l'autre. Dans ma tête je me suis dit "Non, on ne va quand même pas tuer son père?" j'ai même plissé les yeux pour ne pas voir le résultat de notre choix, puis après je me suis reprise...
Attention, ça va spoiler un peu sur l'épisode de Black Mirror

Pour avoir vu l'épisode en question, je trouve qu'il questionne davantage le problème de la gratuité de la violence. Outre le fait que l'épisode ne laisse pas vraiment le choix comme il le prétend, puisqu'il est impossible de finir l'épisode si on ne choisit pas l'option tuer le père quand celle-ci se présente, cette violence est totalement gratuite dans certains scénarios de l'épisode. Au regard des choix que j'avais faits jusque là, cette solution n'avait juste aucun sens.

Et du coup, je pense que cet épisode illustre bien le mauvais traitement qui peut être fait de la violence, que ce soit dans un film, une série ou un livre. Parfois, l’œuvre et l’auteur passent par la case violence alors que ça ne sert pas l'intrigue ou l'évolution des personnages. Il y a parfois une surenchère gratuite, à mon sens, et c'est davantage cette façon de faire qui peut banaliser la violence. Plus que son esthétisation. Et je pense que c'est bien aussi de se questionner en tant qu'auteur. Je pense qu'on peut tout écrire, comme le dit sherkkhann, mais il faut aussi savoir pourquoi on l'écrit. Comment ça s'intègre dans mon récit et qu'est-ce que ça me permet de dire.
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Re: Esthétisation de la violence

Message par sherkkhann »

Edel-Weiss a écrit :
sam. janv. 19, 2019 11:49 am
kyaramoe a écrit :
ven. janv. 18, 2019 11:10 pm
Quelqu'un a aussi dit à juste titre qu'on faisait du divertissement, et ça m'a fait penser à l'épisode interactif de Black mirror où on peut (soi disant) influencer les décisions du personnage. A un moment on a le choix de tuer son père, et mon copain a bondit dessus pour choisir cette option plutôt que l'autre. Dans ma tête je me suis dit "Non, on ne va quand même pas tuer son père?" j'ai même plissé les yeux pour ne pas voir le résultat de notre choix, puis après je me suis reprise...
Attention, ça va spoiler un peu sur l'épisode de Black Mirror

Pour avoir vu l'épisode en question, je trouve qu'il questionne davantage le problème de la gratuité de la violence. Outre le fait que l'épisode ne laisse pas vraiment le choix comme il le prétend, puisqu'il est impossible de finir l'épisode si on ne choisit pas l'option tuer le père quand celle-ci se présente, cette violence est totalement gratuite dans certains scénarios de l'épisode. Au regard des choix que j'avais faits jusque là, cette solution n'avait juste aucun sens.

Et du coup, je pense que cet épisode illustre bien le mauvais traitement qui peut être fait de la violence, que ce soit dans un film, une série ou un livre. Parfois, l’œuvre et l’auteur passent par la case violence alors que ça ne sert pas l'intrigue ou l'évolution des personnages. Il y a parfois une surenchère gratuite, à mon sens, et c'est davantage cette façon de faire qui peut banaliser la violence. Plus que son esthétisation. Et je pense que c'est bien aussi de se questionner en tant qu'auteur. Je pense qu'on peut tout écrire, comme le dit sherkkhann, mais il faut aussi savoir pourquoi on l'écrit. Comment ça s'intègre dans mon récit et qu'est-ce que ça me permet de dire.
Je suis d'accord avec ça, l'important c'est de savoir pourquoi on écrit ses scènes. Des fois, ça ne fait pas avancer l'intrigue, mais ça sert l'oeuvre dans sa globalité, ça donne un ton particulier, ça pose une ambiance. Mais je pense aussi que dans le cas d'une scène totalement gratuite, le lecteur s'en rend compte et décroche, je ne pense pas qu'il ait le temps de s'imprégner de cette banalisation => ça sonne plus comme une fausse note qu'une banalisation. Par contre, la banalisation peut venir non pas de scènes gratuites, mais de propos/gestes répétitifs des personnages, par exemple, ou de tournures de phrases de l'auteur qui ne s'en rend pas compte, et qui ne servent pas du tout l'histoire. Je ne sais pas si je suis claire, mais je trouve bien plus dommageable les auteurs qui donnent à leurs personnages des propos ou gestes "violents" (sexisme etc) qui sont déjà "normalisés" dans notre société, et que l'auteur inclus donc dans son roman imaginaire sans même en avoir conscience. Là, pour moi, y'a banalisation d'un truc violent (personnellement, je le fais dans mon cycle, mais j'en ai conscience, c'est fait exprès pour faire bondir et ça sert complètement mon propos). J'espère que je ne suis pas trop partit hors sujet :?

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Re: Esthétisation de la violence

Message par NaNa »

sherkkhann a écrit :
sam. janv. 19, 2019 12:34 pm
Je ne sais pas si je suis claire, mais je trouve bien plus dommageable les auteurs qui donnent à leurs personnages des propos ou gestes "violents" (sexisme etc) qui sont déjà "normalisés" dans notre société, et que l'auteur inclus donc dans son roman imaginaire sans même en avoir conscience. Là, pour moi, y'a banalisation d'un truc violent (personnellement, je le fais dans mon cycle, mais j'en ai conscience, c'est fait exprès pour faire bondir et ça sert complètement mon propos). J'espère que je ne suis pas trop partit hors sujet
+1 Un truc qui n'est pas déjà normalisé, on se rend compte que quelque chose n'est pas normal et ça nous choque. Un truc déjà normalisé, c'est moins clair.
Par exemple, je ne compte pas le nombre de personnes qui, après avoir vu 13 reasons why, ont sorti des trucs du style "en vrai, à part le viol, elle n'a rien vécu que ne vivent pas toutes les filles de son âge, il n'y a pas de quoi en faire un plat". Bon, déjà, je ne sais pas dans quel genre d'endroits ils vivent que pour toutes les adolescentes se fassent suivre et photographier à leur insu par un gars de leur classe... Mais en plus, bonjour la banalisation du harcèlement! Dans le même genre, il y a le cliché de la pimbêche reine du lycée qui insulte tout le monde, en particulier l'héroïne, sans que les conséquences psychologiques du harcèlement soient mentionnés, c'est juste un cliché que tout le monde utilise (je regarde trop de séries pour ados, je crois).

En fait, j'ai l'impression que tout ce qui est violence psychologique est bien plus banalisé que la violence physique...
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Re: Esthétisation de la violence

Message par Tibert »

Arya a écrit :
mer. janv. 16, 2019 2:40 pm
En ce moment, je réfléchis à mettre un attentat au coeur de mon prochain roman. Je lis beaucoup de témoignages de victimes et pour certains d'entre eux (je parle de livres publiés chez des éditeurs), j'ai cette pensée terrible : "c'est mal écrit, c'est plat, c'est tell". Je vous cite un exemple : "soudain, je vois une femme sortir du terminal, recouverte de sang, quand une vitre tombe du mur d'enceinte. La scène est horrible". En lisant ces deux phrases, sur le moment, je me suis vraiment dit qu'un auteur arriverait à faire ressentir l'horreur absolue de cette scène avec une plus grande efficacité que la victime qui témoigne de ce qu'elle a vécu. Et là, je pose le livre, un peu choquée par le cours de mes pensées et je commence à me remettre en question, je me dis : de quel droit, tu vas, toi, mettre en scène un attentat que tu n'as pas vécu. Tu vas faire de la fiction. Tu vas esthétiser la violence.

Comment vous vivez ça ? Comment vous vous autorisez ça ? Est-ce que ça a du sens ? Est-ce que ce n'est pas être un imposteur que de faire cela ? Est-ce que ce n'est pas noircir un monde qui n'en a pas besoin ?
Je vais commencer peut-être un peu loin, mais...
Aucun langage n'est transparent. Le réel échappe en partie à nos mots, nos grammaires. Dire (écrire), c'est déjà trahir. Je pense que les mots d'un témoin, dans leur simplicité brutale et leur aspect factuel, ne parviendront pas à retranscrire la totalité de son expérience, malgré justement la réalité de celle-ci. Ce qui n'en rend pas moins son témoignage précieux ou nécessaire.
Les écrivains (les poètes, les artistes) sont parmi les seuls à s'approcher de l'expérience humaine dans ce qu'elle peut avoir de plus profond. Parce qu'ils arrivent à manipuler des outils culturels et imparfaits de manière à retranscrire à la fois le personnel et l'universel.
Donc, pour moi, esthétiser, c'est cela : rendre accessible des choses indicibles voire quasi intransmissibles (ce qui n'est pas du tout la même chose que de banaliser). Et je pense que toutes les sociétés en ont besoin, justement pour s'approprier, pour comprendre, pour communiquer/communier.
En gardant une attitude humble face aux vécus des témoins, en te questionnant sur ce que tu fais, tu ne peux pas être un imposteur. C'est aussi ton rôle en tant qu'auteur de donner aux lecteurs la possibilité de rencontrer de manière plus viscérale (plus "humaine") l'expérience du témoin. L'artiste crée de l'empathie tout en permettant une distanciation qui aide à analyser, à réfléchir. Ensuite, c'est le lecteur (ou le spectateur) qui va en faire quelque chose, en tirer du positif ou du négatif.

Pour ce qui est de noircir le monde : donner à sentir, à comprendre, à travers l'écriture et la fiction, c'est justement redonner une forme d'ordre, de sens, à un réel qui n'en a souvent pas. Plus qu'une catharsis, c'est une prise de pouvoir sur l'aléatoire de la vie.
Et puis le lecteur pour qui un sujet serait trop brûlant n'est jamais obligé d'ouvrir un livre qu'il ne veut pas lire ! Il peut même choisir de le refermer :) .

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Le Chat d'Oz
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Re: Esthétisation de la violence

Message par Le Chat d'Oz »

Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais le "débat" sur la violence dans la fiction et surtout, la façon dont elle est perçue et utilisée, m'a toujours remué les tripes. Je crois que ça vient d'une hypersensibilité un peu trop vive. Je suis désolée si je réagis un peu viscéralement.

Contrairement à beaucoup d'auteurs, je ne considère pas la lecture et l'écriture comme du divertissement. Une catharsis oui, mais pas un divertissement. Lire ou voir une scène de violence dans une fiction peut m'ébranler, me toucher, me révulser, m'effrayer, me soulager, m'énerver ou m'exciter mais dans tous les cas, elle ne me divertit pas. Elle active certaines émotions, en purge d'autres, me permet d'affronter certains démons, elle me vide de l'intérieur mais je ne la ressens pas comme un divertissement.
D'ailleurs, pour tout vous dire, je n'ai jamais compris comment la plupart des gens parvient à qualifier la violence dans la fiction de divertissement. Bah oui, moi ça me percute à chaque fois que j'entends ça. Je ne suis pas entrain de dire que je crache sur les gens qui pensent ça, non. Simplement que moi, je ne le comprends pas.

Je crois que c'est pour ça que la grande mode des bannières "je suis un auteur sadique mouhahahaha" m'énerve autant. J'ai jamais pigé d'où venait cette fierté de crier qu'on adore torturer et tuer ses personnage... :perplexe: C'est sans doute que je manque d'humour. :hihihi:

Par contre, oui, je l'admets, ça me choque assez de lire qu'on puisse penser qu'un témoignage de victime puisse être plat et mal raconté. Non pas par bien-pensance mais plutôt parce que, lorsque je lis un témoignage de ce genre, je ne suis pas DU TOUT en mode "divertissement", justement. Même avec des mots simples, je n'arrive jamais suffisamment à m’ôter de l'esprit qu'il s'agit du réel pour focaliser sur la tournure des phrases (après, je n'ai jamais lu un livre de témoignage de victime en entier, plutôt des articles ou des publication sur le net).
Mais attention, là encore je ne fustige pas. Je suis très sensible et j'ai tendance à beaucoup BEAUCOUP trop imaginer, beaucoup trop ressentir. J'ai conscience que tout le monde ne ressent pas comme moi. Mais du coup, ça m'interroge beaucoup sur cette fameuse banalisation de la violence.
kyaramoe a écrit :
ven. janv. 18, 2019 11:10 pm
Un individu sain et équilibré sait faire la différence entre la violence dans le monde réel et la violence dans la fiction, donc user de violence dans ses écrits n'est pas un problème éthique à mon sens, l'esthétiser encore moins
Pour ma part, je suis quelqu'un d'hypersensible qui, émotionnellement parlant, ne fait guère de différence entre la violence réelle et la violence fictionnelle. Une scène violente (physiquement ou moralement...surtout moralement d'ailleurs) dans un film ou un livre peut me marquer pendant des jours et hanter mes nuits. Il ne s'agit pourtant que de fiction. La violence que je sais réelle me percutera beaucoup plus fort encore, mais dans les deux cas, je suis capable de réagir très intensément. Et pourtant, je suis tout de même saine d'esprit car je sais dissocier ma propre sensibilité et l'utilité de la violence dans la fiction. Je pense qu'elle est importante, qu'elle joue un rôle pour celui qui l'écrit comme celui qui la lit, et surtout, elle est un puissant vecteur d'émotions. Tibert disait juste avant moi que l'esthétiser permettait de lui donner un sens, je suis d'accord avec ça.

Tout ça pour dire qu'on ne doit pas s'interdire d'écrire (ou lire) la violence, quelque soit son expression et son contexte. On doit surtout réfléchir à pourquoi on l'écrit et comment on l'utilise.
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Re: Esthétisation de la violence

Message par Melalivres »

sherkkhann a écrit :
sam. janv. 19, 2019 12:34 pm
Mais je pense aussi que dans le cas d'une scène totalement gratuite, le lecteur s'en rend compte et décroche, je ne pense pas qu'il ait le temps de s'imprégner de cette banalisation => ça sonne plus comme une fausse note qu'une banalisation.
Pour ma part, que ce soit à la télé ou dans des livres, j'ai beaucoup de mal avec la violence quand elle est décrite, surtout quand elle prend un côté gore. Mais quand un personnage (mauvais) se fait bouffer la moitié du visage par un crocodile, ou qu'un gentil se fait scier la main par un chirurgien pour le sauver de la gangrène, j'arrive à lire cette violence parce que les auteurs en question le font bien et l'intègrent réellement à leur histoire, et parce que je suis bien trop prise par tout le reste pour avoir envie de décrocher.
Mais j'ai eu l'exemple contraire il y a quelques années avec Michael Grant : j'en avais beaucoup entendu parler avec Gone et quand BZRK est sorti, je me suis dit que j'allais tenter. Sauf que, dès le premier chapitre (ou peut-être même le prologue ?) je me suis retrouvée confrontée à de la violence gore et surtout gratuite : un avion s'écrase sur un stade plein (une histoire de nanovirus qui s'attaque au pilote, il me semble) et, comme si la scène en elle-même n'était pas assez horrible, l'auteur s'est focalisé sur un ado dans ce stade, décrivant la façon dont il meurt (ça date donc je n'en ai plus un souvenir précis, mais ça parlait de choses comme son crâne écrasé et son cerveau qui en ressortait ou quelque chose du genre). Bref, ça m'a suffi, j'ai refermé le bouquin directement. Il n'y avait aucune raison de montrer ces détails, ça ne servait en rien l'histoire (et les tripes qui volent, je ne trouve pas ça spécialement esthétique :hihihi: )

Bref, je pense que tout est surtout dans la façon d'utiliser cette violence, dans les choix que nous faisons de la montrer ou bien de simplement la suggérer.
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Re: Esthétisation de la violence

Message par timioko »

Nana a écrit :
sam. janv. 19, 2019 5:43 pm
+1 Un truc qui n'est pas déjà normalisé, on se rend compte que quelque chose n'est pas normal et ça nous choque. Un truc déjà normalisé, c'est moins clair.
Par exemple, je ne compte pas le nombre de personnes qui, après avoir vu 13 reasons why, ont sorti des trucs du style "en vrai, à part le viol, elle n'a rien vécu que ne vivent pas toutes les filles de son âge, il n'y a pas de quoi en faire un plat". Bon, déjà, je ne sais pas dans quel genre d'endroits ils vivent que pour toutes les adolescentes se fassent suivre et photographier à leur insu par un gars de leur classe... Mais en plus, bonjour la banalisation du harcèlement! Dans le même genre, il y a le cliché de la pimbêche reine du lycée qui insulte tout le monde, en particulier l'héroïne, sans que les conséquences psychologiques du harcèlement soient mentionnés, c'est juste un cliché que tout le monde utilise (je regarde trop de séries pour ados, je crois).

En fait, j'ai l'impression que tout ce qui est violence psychologique est bien plus banalisé que la violence physique...
C'est toute la difficulté je trouve. Quand j'étais au lycée j'avais commencé à écrire un roman où mon personnage était victime de violence à la maison et de harcèlement scolaire. Et j'avais toujours l'impression que ce dernier était "pas assez fort" pour justifier qu'elle sombre elle-même dans la violence. C'est devenu un passage obligé j'ai l'impression, si bien que la plupart des ouvrages et films se passant dans une école en parle, et en même temps c'est rare que ça aille plus moins que 'c'est pas gentil d’être méchant".
Pour moi il y a banalisation lorsque c'est juste un cliché qui sert juste à rien. La plupart du temps, ça sert "juste" à montrer que le héros est dans le camp des gentils (soit parce qu'il est "cool" et qu'il ne harcèle pas, soit parce qu'il est harcelé mais ça l’empêche pas d'avoir des amis, des bonnes notes ect :fatigue: ) C'est un peu comme si c'était devenu un élément de décors pour expliquer le contexte: lycée = des couloirs avec des bousculades, des wc où on pleure et/ou on et victime de violence plus grave, un réfectoire pour montrer les groupes des cools et les groupes des isolés, et un ou deux cours pour montrer que c'est bien un lieu d'étude. (ensuite on ajoute une bibliothèque pour la drague si c'est un héros "intello" ou un gymnase si c'est un héros "sportif" )Du coup tout le monde admet logique qu'un lycée soit un lieu de violences verbales, sexuelles et physique et c'est rarement remis en cause. :perplexe:
ce qui pose problème ce ne sont pas les auteurs un par un mais le fait que, de tête, je n'ai aucun exemple qui me vient de lycée où ça ne se passe pas comme ça. Et là oui, ça pose soucis je trouve.
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Arya
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Re: Esthétisation de la violence

Message par Arya »

Merci pour tous ces échanges, c'est très intéressant.

Pour l'instant, j'ai un peu mis de côté mon idée. Je ne sais pas si je vais la traiter. Vraiment, je ne sais pas. Là, actuellement, au fond, je n'en ai plus très envie, même si vos messages témoignent bien du sens qu'on peut donner à ce type de tragédie, à travers la fiction, et que ça peut être intéressant universellement.

Je suis assez frappée, parce que tu dis, Sherkk, sur le fait que des auteurs sont un peu comme des "vecteurs émotionnels" pour permettre au lecteur de "ressentir ce que vit le protagoniste". En fait, peut-être que pour le coup on participe justement, à notre petit niveau, à quelque chose de très important : le développement de l'empathie. Le fait d'inviter le lecteur à partager quantité de situations sociétales, émotionnelles, et de se placer du point de vue du personnage est vraiment intéressant, enrichissant.
Ade a écrit : Et ça me semble important que certaines personnes puissent avoir les bons mots pour que les choses se ressentent comme il faudrait qu'elle se ressentent. Je vais dire un truc tout bête, mais les nouvelles générations, en tous les cas ceux qui n'ont pas vécus la guerre, ils ne vont pas se rappeler à quel point c'était atroce, à quel point il faudrait l'éviter, et ce n'est pas franchement les cours d'histoires et les témoignages qui vont les sensibiliser sur la question. Même si ce n'est pas les "vrais" mots, si ce sont les "bons", ceux qui font ressentir, ils sont forcément légitimes parce qu'ils font avancer les choses.
Et c'est pareil avec les attentats. Dans 30 ans, les jeunes à qui on parlera du 13 novembre, ils ne réagiront pas plus que ça, je pense, parce qu'ils n'auront pas vécu les évènements ni l'attente stressante autour. Je trouve que ça sert justement à ça, les textes de fictions. À faire revivre des choses et à se rendre compte.
Oui, je vois ce que tu veux dire, ça me semble très juste.
Ade a écrit :Et je m'interroge sur ce que tu veux dire par "esthétique". Pour moi, quelque chose d'esthétique, c'est quelque chose de "joli", et ça m'étonnerait que tu en fasses quelque chose de "jolis". Quelque chose de parlant, de brut, de puissant, d'horrible (parce que ça l'est), oui, mais "esthétique" ?
Tout ça m'est venu d'un film qu'on regardait avec des collègues à l'hosto, un entretien avec Jean Oury, un célèbre psychiatre. A la question qu'on lui posait "c'est quoi le pire qu'on puisse faire en psychiatrie", il répondait "l'esthétisation", et là, l'écrivain en moi a bondi sur sa chaise, je me suis dit "merde, c'est exactement ce que je fais dans mes bouquins". Après, j'ai essayé de comprendre ce qu'il voulait dire par là et c'est toujours pas très clair dans ma tête, mais je crois que c'est justement sortir de la neutralité un peu brute des faits, céder à nos fantasmes sur la folie ou à un certain romantisme. C'est très difficile, encore plus en imaginaire où on va exagérer certains aspects dans le cadre du wordbuilding. L'esthétisation, c'est pas forcément beau, je crois que c'est plus lié à la mise en scène, le cadrage qu'on va en faire, l'angle qu'on va choisir. Exemple con pour continuer sur la folie : la cellule de l'épreuve "chambre psychiatrique" a fait scandale à Fort Boyard, parce qu'elle représentait la folie par la cellule capitonnée et la camisole de force. Là, les mec de Fort Boyard ont esthétisé la folie au sens négatif de Jean Oury, et des gens ont pu se sentir blesser par cette réduction de la folie à ces symboles. Enfin, c'est ce que je comprends. Désolée, c'est un peu confus.
Nana a écrit :C'est "marrant" car j'en parlais justement avec mes élèves lundi. On étudie une œuvre plutôt violente (justement pour ouvrir la discussion sur le sujet de la violence dans l'art et les sensibiliser à ça), et pour le coup, ils ont trouvé ça plus frappant que les séries qu'ils regardent. Alors, je pense que le fait que c'était de la blanche et décrit en détails à jouer, tout comme le fait que ce soit une autobiographie. J'ai un élève qui m'a fait une réflexion intéressante, comme quoi c'était plus violent en livre parce qu'on ne nous imposait pas les images, que tout se passait dans notre tête et qu'on était en quelque sorte responsable de ce qu'on imaginait.
C'est hyper intéressant, je n'avais pas envisagé cet angle. Je te rejoins sur tout ce que tu soulèves dans ton post, et on en revient à l'empathie.

Je pensais aussi à un truc en vous lisant et en regardant un film avec Kassovitz qui incarne un boxeur, c'est qu'en fait, en tant qu'auteur, on fait un travail assez similaire à celui d'un acteur : on va tâcher d'incarner un rôle, de mettre en scène une personnalité qui nous est étrangère à la base, et c'est une grosse partie de notre boulot.
Edel-Weiss a écrit :
sam. janv. 19, 2019 11:49 am
Attention, ça va spoiler un peu sur l'épisode de Black Mirror
Spoiler: montrer
Pour avoir vu l'épisode en question, je trouve qu'il questionne davantage le problème de la gratuité de la violence. Outre le fait que l'épisode ne laisse pas vraiment le choix comme il le prétend, puisqu'il est impossible de finir l'épisode si on ne choisit pas l'option tuer le père quand celle-ci se présente, cette violence est totalement gratuite dans certains scénarios de l'épisode. Au regard des choix que j'avais faits jusque là, cette solution n'avait juste aucun sens.
J'ai eu le même cheminement que toi lol et j'ai absolument rien compris au fait qu'on m'a finalement imposé ce choix.

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sherkkhann
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Re: Esthétisation de la violence

Message par sherkkhann »

Arya a écrit :
lun. janv. 21, 2019 4:18 pm

Je suis assez frappée, parce que tu dis, Sherkk, sur le fait que des auteurs sont un peu comme des "vecteurs émotionnels" pour permettre au lecteur de "ressentir ce que vit le protagoniste". En fait, peut-être que pour le coup on participe justement, à notre petit niveau, à quelque chose de très important : le développement de l'empathie. Le fait d'inviter le lecteur à partager quantité de situations sociétales, émotionnelles, et de se placer du point de vue du personnage est vraiment intéressant, enrichissant.
Je suis absolument convaincu que lire augmente l'empathie. Comme tu dis, on permet aux autres de vivre quantité de situations différentes, de rencontrer, à travers les personnages, quantité de personnes différentes, mais avec une approche beaucoup plus intime qu'IRL puisque le lecteur est seul avec le personnage. En lisant, c'est comme si on vivait plusieurs vies en accélérées, une vie humaine est trop courte pour nous permettre de tout explorer donc je pense que c'est la raison d'être des romans.
Je pensais aussi à un truc en vous lisant et en regardant un film avec Kassovitz qui incarne un boxeur, c'est qu'en fait, en tant qu'auteur, on fait un travail assez similaire à celui d'un acteur : on va tâcher d'incarner un rôle, de mettre en scène une personnalité qui nous est étrangère à la base, et c'est une grosse partie de notre boulot.
J'ai toujours considéré le travail d'auteur semblable à celui d'un acteur. Pour moi, c'est le même processus artistique, y'a que la densité de travail qui change : l'acteur incarne un personnage qui a été créer par quelqu'un d'autre, alors que l'auteur incarne tous ses personnages et incarne aussi son histoire, cache des messages un peu partout dans son oeuvre. Mais le ressentit reste le même : à travers nous, des émotions, fictives, puisque les personnages n'existent pas, deviennent réelles puisqu'on arrive à les ressentir, et hop, on les transmets aux autres par notre jeu d'acteur/notre plume.

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Re: Esthétisation de la violence

Message par kyaramoe »

Le Chat d'Oz a écrit :
sam. janv. 19, 2019 11:07 pm
kyaramoe a écrit :
ven. janv. 18, 2019 11:10 pm
Un individu sain et équilibré sait faire la différence entre la violence dans le monde réel et la violence dans la fiction, donc user de violence dans ses écrits n'est pas un problème éthique à mon sens, l'esthétiser encore moins
Pour ma part, je suis quelqu'un d'hypersensible qui, émotionnellement parlant, ne fait guère de différence entre la violence réelle et la violence fictionnelle. Une scène violente (physiquement ou moralement...surtout moralement d'ailleurs) dans un film ou un livre peut me marquer pendant des jours et hanter mes nuits. Il ne s'agit pourtant que de fiction. La violence que je sais réelle me percutera beaucoup plus fort encore, mais dans les deux cas, je suis capable de réagir très intensément. Et pourtant, je suis tout de même saine d'esprit car je sais dissocier ma propre sensibilité et l'utilité de la violence dans la fiction. Je pense qu'elle est importante, qu'elle joue un rôle pour celui qui l'écrit comme celui qui la lit, et surtout, elle est un puissant vecteur d'émotions. Tibert disait juste avant moi que l'esthétiser permettait de lui donner un sens, je suis d'accord avec ça.

Tout ça pour dire qu'on ne doit pas s'interdire d'écrire (ou lire) la violence, quelque soit son expression et son contexte. On doit surtout réfléchir à pourquoi on l'écrit et comment on l'utilise.
Je vais peut-être me contredire, mais je vis la violence exactement comme toi en fait! J'ai du faire un gros travail sur moi pour changer un peu suite à une grosse dépression que j'ai faite en lisant un roman très violent. J'ai carrément été sous antidépresseurs et après presque un an j'ai surmonté mon émotion pour finir ce roman. C'est fou ce qu'un auteur peu faire avec des mots! Donc je rejoins tous les avis qui disent qu'il faut écrire en pleine conscience et que la violence ne doit pas être inutile.
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Agathe Flore
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Re: Esthétisation de la violence

Message par Agathe Flore »

Salut Arya (et tous),

Après une semaine de procrastination, je me décide à ajouter mon grain de sel (et de poivre bien pimenté) dans cette discussion sensible. J'y réfléchissais aussi ces jours-ci, en repassant sur les scènes les plus violentes de mon roman durant les corrections éditoriales et en me demandant comment j'ai pu écrire des choses pareilles en 2017. (mais mon éditeur adore, alors tout va bien)
Arya a écrit :
mer. janv. 16, 2019 2:40 pm
Chère, cher camarade,

Il y a quelque chose qui me chiffonne en ce moment et j'aimerais bien avoir votre ressenti.

Nous écrivons des romans d'imaginaire, il nous arrive donc fréquemment de mettre en scène des batailles, des blessures, des trauma, des tortures, etc etc. Mais est-ce que d'une certaine façon, nous ne participons pas ainsi à banaliser la violence, voire à l'esthétiser ?

(…)

Comment vous vivez ça ? Comment vous vous autorisez ça ? Est-ce que ça a du sens ? Est-ce que ce n'est pas être un imposteur que de faire cela ? Est-ce que ce n'est pas noircir un monde qui n'en a pas besoin ?
Pour moi, la littérature risque moins de banaliser la violence que le cinéma ou les séries, car l'écriture implique de se plonger dans le point de vue d'un personnage, d'exprimer ses ressentis et ses sensations corporelles, et par là susciter l'empathie du lecteur. C'est un exercice délicat, car comme tu l'as souligné, comment transmettre avec justesse des traumas et de la violence subie si on ne l'a pas vécu, ou encore, comment se mettre dans le point de vue du "méchant" qui se livre à la violence ? Lire des témoignages de victimes peut être un premier pas pour aider à les comprendre, mais c'est souvent mal écrit. On peut tenter de s'imaginer comment on réagirait soi-même dans une telle situation, mais personne ne sait prévoir comment il réagira dans une situation d'urgence vitale. Certaines personnes se figent complètement, d'autres se découvrent des forces insoupçonnées. Peut-être prendre contact avec des associations de victimes et échanger avec l'une ou l'autre personne, si tu conserves ton idée ?
Je pense qu'une personne sensible, qui a l'habitude d'appliquer le "show Don't tell" dans ses écrits, ne court pas beaucoup de risques de faux pas dans le rendu de la violence ou du traumatisme ressenti suite à la violence. Cependant, l'attentat est un thème particulièrement délicat.
À mon avis, les documentaires comme celui de Lanzmann cité plus haut participent plus à la banalisation de la violence que les romans bien mis en scène, à cause justement du ton sec et dépouillé (pas d'empathie).
Un truc qui m'énerve particulièrement, sur écran comme par écrit, ce sont les héros qui subissent les pires épreuves et qui s'en relèvent le lendemain pour poursuivre leurs aventures comme si de rien n'était, car cela ne se passe pas du tout ainsi dans la réalité. Il faut des mois, voire des années, pour surmonter un trauma. Cette maladresse banalise la violence, car elle donne l'impression que ce n'est pas si grave puisqu'on reprend sa vie juste après comme si de rien n'était, et cela peut culpabiliser de vraies victimes, mal informées sur la longueur du processus de guérison, qui ont du mal à s'en remettre.
Une autre forme de banalisation de la violence, c'est la multitude de morts dans des batailles de fantasy ou de S-F, si les personnages guerriers tuent à tour de bras sans se poser de questions ou si les personnages qui évoluent en marge des combats trouvent ça tout à fait normal dans leur univers (oh, encore un cadavre dans le fossé, des brigands sont passés par ici).
Il y en a sans doute d'autres, mais ce sont ceux-là qui me viennent à l'esprit pour le moment.
Arya, j'ai lu quelques-uns de tes romans et je suis sûre que tu ne tomberas jamais dans un de ces travers !

Concernant le fait de lire et de regarder des oeuvres violentes, ma sensibilité est un peu comme celle d'Edel-Weiss (si tu es bizarre, je le suis tout autant ! ^^ ). La violence dans un contexte contemporain, de littérature blanche, me met beaucoup plus mal à l'aise que dans les genres de l'imaginaire. On s'immerge plus facilement, on se dit que ce sont des choses qui pourraient parfaitement arriver au coin de la rue, ou nous arriver à nous, tandis que des orcs numériques trucidés par dizaines ne me font rien du tout.

L'écriture peut servir à évacuer des pulsions d'agressivité, des angoisses, des névroses, des psychoses… et c'est tout à fait normal, c'est même très sain ! Toutes les formes d'art peuvent ainsi sublimer le mal-être, et c'est pourquoi les psychiatres et psychologues recommandent à leurs patients de se trouver une activité créative pour aller mieux. Je l'ai donc découvert en écrivant et en corrigeant mon tome 2. Maintenant, avec un peu plus d'expérience, je sais que mes batailles et mes scènes dramatiques seront mieux réussies si je les écris / corrige dans des moments où je ne me sens psychologiquement pas bien (mais pas trop mal non plus, car là on ne fait plus rien !). Bien entendu, je ne vais pas me plomber le moral exprès pour écrire de plus beaux combats, mais je vais profiter d'un moment "down" pour réécrire ce genre de scène, et donner ainsi du sens à mes variations d'humeur.
JK Rowlings elle-même a expliqué dans ses interviews que les Détraqueurs ont exorcisé sa dépression ; en décrivant comment les personnages réagissent en présence d'un Détraqueur, elle racontait comment la dépression l'affectait elle-même, elle a donné un visage à sa maladie.

Enfin, pour répondre à la dernière question, le monde dans lequel on vit est sombre, qu'on écrive sur la violence ou pas. À moins de tomber dans les travers de la banalisation, on ne peut que sensibiliser à cette noirceur en la mettant en scène à notre manière d'écrivains, avec le "show Don't tell", et faire réfléchir à des travers de notre société en racontant des choses similaires qui se produisent dans un univers imaginaire.
Mu: L'ombre d'Atlantis T1 et Mu : La foudre de Quetzalcoatl T2 aux Éditions Underground
La cité des alchimistes et L'aigle et le lys en soumission :croise:

Kaplan
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Re: Esthétisation de la violence

Message par Kaplan »

La question pour moi ce serait plutôt : comment faire sans la violence ? Elle est indispensable dans des écrits de SFFF représentant souvent des guerres à l'échelles parfois de l'univers. Mais au delà de ça, comment représenter toute l'horreur d'une guerre sans violence ? George RR Martin le disait lui-même : il faut représenter la réalité comme elle est vraiment, dans toute son horreur sans la travestir. Par exemple, le mauvais élève dans cela serait le seigneur des anneaux, autant les livres que les films. Les personnages éclatent des orcs, gobelins, trolls, balrog, à tour de bras et s'en sortent avec quelques égratignures pour juste les rendre un peu plus sexy. Les morts se font tuer sans effusion de sang, c'est toujours "propre". C'est juste impossible et ça casse l'immersion.
En comparaison, je préfère de loin l'épisode "la bataille des bâtards" du trône de fer qui est ultraviolent, certes, mais bien plus réaliste ! On se met bien à la place de Jon Snow : une guerre c'est sanglant, on ne voit rien du tout, les gens se font tuer autour de nous, on ne survit que par miracle. C'est difficile à regarder c'est vrai, mais au moins c'est "vrai".

Au delà de ça, je suis très sensible à l'effet cathartique de la violence. Cela exorcise un peu tout ce qu'on garde dedans, notamment pour les vengeances. Par exemple, pour le film "taken" combien d'autres nous ont vraiment plaint l'albanais se faisant torturer ? Moi j'étais plutôt dans l'encouragement sadique de le voir se faire électrocuter. La violence nous permet de voir et ressentir ce qu'on ne peut pas faire ou ressentir dans la réalité. Cela fait un peu peur de dire ça comme ça, mais je ne pense pas être le seul dans ce cas de figure. il y a des moments où on est furieux et on a juste envie de taper sur quelque chose ou quelqu'un et de le voir se briser, et assister une injustice totale dans un livre ou un film est un de ces cas de figure : on veut, non pas une justice mais de la vengeance pure, parfois davantage que le personnage principal.

Après l'encouragement à la violence dans la vie réelle est très surestimé. Combien de personnes ont accusé GTA de promouvoir la violence parce quelques crétins ont reproduis ce qu'ils avaient fait dans le jeu ? Ou accusé World of Warcraft parce que Breivik en était fan ? C'est oublier les millions de joueurs qui y ont joué eux aussi et qui ont toujours un casier vierge.

Je pense qu'une personne violente trouvera n'importe quel prétexte pour continuer à l'être et qu'un non-violent peut en lire ou en voir sans jamais le devenir.
Modifié en dernier par Kaplan le jeu. févr. 07, 2019 4:35 pm, modifié 1 fois.

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