[A] Pourquoi vous riez ? (comment faire rire)

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Milora
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[A] Pourquoi vous riez ? (comment faire rire)

Message par Milora »

Attention, je suis une fervente militante pour la réhabilitation des textes humoristiques. Ça m'énerve de lire des commentaires (pas vraiment sur Cocyclics, mais en général) qui considèrent qu'un texte drôle est forcément un petit délire personnel, qu'on rit bien en le lisant mais qu'il n'a aucune valeur littéraire et, surtout, qu'il n'y a aucun travail de l'auteur derrière.
C'est faux !
C'est pas facile de faire rire, et on peut faire passer énormément de choses avec de l'humour - y compris des sentiments forts et des idées fortes (mon expérience la plus marquante à ce sujet a été le dernier chapitre de La trilogie de Bartiméus, où je riais et pleurais à la fois - et c'était pas pleurer de rire. Parce que ce passage allie tout de même beaucoup d'humour et la fin tragique du roman, avec
Spoiler: montrer
la mort de Nathaniel
et du coup le côté second degré donne aux sentiments de Bartiméus ainsi qu'à l'acte de Nathaniel un certain panache, qu'on n'aurait pas perçu pareil sans l'humour).
BREF, tout ça pour dire que j'avais envie d'ouvrir un fil pour parler de l'humour dans les textes.


Cela dit, mon message ne porte pas vraiment sur une "technique" d'écriture, c'est plutôt un questionnement plus général (j'aime bien ces histoires de théorie littéraire et compagnie ^^). Donc je vous rassure : je ne cherche pas de recette, j'essaie juste de comprendre.
Mais comprendre quoi ? Oui, oui, j'en viens au but.
Comprendre l'humour dans les textes. Sur quoi ça diable est-ce que ça repose ?


L'humour, le caractère drôle d'un élément, c'est quand même extrêmement difficile à expliquer, vous ne trouvez pas ? (cf. pour les geeks, dans Star Trek, les vaines tentatives de Data ou des Vulcains de comprendre une blague. J'assume tant bien que mal ma référence :mrgreen: ).

Il paraît que c'est plus difficile de faire rire que de faire pleurer... J'aurais presque tendance à le croire, parce que ça repose sur des mécanismes bien différents. Pour faire pleurer, il faut créer un attachement au personnage, ou un lien d'empathie entre le lecteur et lui, y attacher une sorte de panache pour que le passage triste soit beau et pas juste pitoyable. Bon, c'est facile à dire, répondrez-vous :lol: , mais disons que le mécanisme qui nous fait pleurer lorsqu'on lit un roman est assez "décortiquable".




Mais qu'est-ce qui fait rire ? Qu'est-ce qui va faire que le texte est drôle et pas juste lourd et stupide ?
Évidemment, il y a plusieurs types d'humour, et tout le monde ne rit pas à la même chose - mais bon, tout le monde ne pleure pas à la même chose non plus, ça n'empêche pas d'essayer de voir les points communs qui provoquent l'un et l'autre des mécanismes.
En fait, est-ce que l'humour ne reposerait pas sur un certain... décalage ?

Il me semble que, dans un texte, l'humour réside (quasiment ?) toujours dans une rupture de la continuité du récit. Dans le fait qu'un élément, une information, est amené dans la phrase d'une façon non conforme aux attentes du lecteur.
Bien sûr c'est impossible de lister tous les effets comiques, mais essayons avec les principaux pour voir :
¤ L'ironie, c'est-à-dire le fait que le texte dise autre chose que ce qu'il signifie. Or, c'est en plein dans ce décalage : le narrateur (ou le personnage qui parle) dit bien quelque chose en décalage avec la réalité (enfin, la "réalité" du roman), et le fait que le lecteur sente ce décalage provoque une sensation d'amusement.
¤ L'humour absurde c'est aussi un décalage : un comportement ou une situation illogiques, voire qui reproduit une situation normale mais en la déplaçant dans un cadre qui n'est pas du tout approprié. (Je résiste pas à citer Jasper Fforde : "L'atelier d'architecture était propre et en ordre. Une demi-douzaine de pieuvres vêtues de tartan étaient installées sur des tables à dessin, on aurait dit autant de cornemuses géantes - hormis une, qui était effectivement une cornemuse géante.")
¤ Il peut y avoir aussi des répliques drôles, mais en général, c'est causé par une inadéquation entre ce qui est dit et ce qui est attendu. ça peut être une réplique parfaitement anodine dans une situation tragique (ex : les héros discutant du prénom de leurs enfants tout en repoussant l'armée ennemie à coups d'épée...).
¤ Dans un dialogue, l'humour peut aussi reposer sur le fait que le lecteur comprend quelque chose qui s'est passé par quelque chose qui est dit dans le dialogue. Le fait que le lecteur ne l'ait pas vu de ses yeux (façon de parler) dans le discours du narrateur, mais le comprenne implicitement par le dialogue, provoque un effet comique. (ex : Dans Bartiméus 1, il y a un passage que je ne pourrais citer que de mémoire donc de façon inexacte, où Bartiméus est en train de remplir les bras de Nathaniel avec des provisions tout en discutant, et sa réplique donne quelque chose comme : "Tiens, prends encore une bouteille de lait. Une de plus ? Non ? Bon, tant pis (Je l'aide à se relever)". On comprend que Nath est tombé par terre, mais si c'était dit directement, ça n'aurait pas été drôle).

Bon, ça ne marche pas pour tous les effets comiques. Restent :
¤ Le comique de répétition ("que diable allait-il faire dans cette galère ?")
¤ Vous avez aussi, c'est vrai, des répliques drôles pour d'autres raisons, drôles en soi, comme les réparties cinglantes ou avec une tournure astucieuse (encore que là, ce soit encore un certain décalage : une idée tournée d'une façon inhabituelle... Mais bon, c'est un peu exagéré)
¤ Bon, après, y a le type d'humour qui démolit mon argumentaire, alors je le mets à la fin :mrgreen: Je parle du gros humour "tarte à la crème", du genre : ah ah ah, le personnage s'est pris les pieds dans le tapis et s'est affalé par terre devant le maire. (Bon, moi ça me fait pas foncièrement rire, les grosses clowneries, du coup j'ai un peu de mal à comprendre le mécanisme). Ça se rapproche du comique de geste, auquel on n'a pas accès dans un texte (si on lit une description de grimace, ce ne sera pas drôle. Ou ça peut l'être, mais par les effets de narration, de description ; pas pour la mimique en soi). De la même façon, pour l'humour tarte à la crème, si on se rapporte à un texte, à un récit, ce qui va être drôle dans ce gag ce n'est pas le fait que le personnage tombe (la preuve, je viens de le raconter et ce n'était pas drôle), mais la manière dont c'est présenté. Et, du point de vue de l'écriture, il me semble qu'on va retomber sur des notions de décalage comme dit plus haut.

Bref, il me semble que la façon de créer de l'humour dans le texte va surtout reposer sur une inadéquation entre l'événement et la façon dont il est raconté.
Je crois qu'y a Bergson qui a écrit là-dessus, mais j'ai jamais eu l'occasion de le lire et j'ai pas très envie d'aller exprès me plonger dedans. Si quelqu'un connait, qu'en dit-il ?

Alors, est-ce que vous êtes d'accord ? Est-ce que vous avez des éléments pour réfuter/compléter/nuancer/envoyer balader ? Est-ce que vous vous en fichez totalement et vous demandez pourquoi j'ai eu l'idée idiote de créer un fil pour ça et qu'en plus mon message est trois froid trop long et votre café a refroidi en le lisant ? :lol:


Et puis d'une manière générale, qu'est-ce que vous pensez de l'humour en littérature ?

(Vous avez 5h et je relève les copies. L'usage de la calculatrice est interdit).
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Beorn
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Beorn »

Il y a dans "La dramaturgie", de Yves Lavandier, tout un chapitre sur l'humour (qui n'a pas grand chose à voir avec le reste du livre, d'ailleurs, ni avec la dramaturgie, mais qui est très intéressant quand même).

D'après mes souvenirs, il indique que l'humour,

1) ne marche qu'avec des protagonistes humains.
Bien sûr, on peut rire d'animaux, de monstres, de toutes sortes de choses, mais il faut que leur comportement ait quelque chose d'humain ou qui nous rappelle l'humain, sinon, que pouic. Pas d'humour.
Rire d'un phénomène naturel, par exemple, n'a pas de sens, à moins qu'il n'ait, éventuellement, un effet drôle sur quelqu'un.

2) vise toujours une "faiblesse" humaine.
Quand on a dit ça, on n'a pas dit grand chose.
Que ce soit la tarte à la crème (ahah, cet homme est ridicule avec sa crème sur la tête !), l'ironie ("quel courage, quelle audace !" dit à propos d'un personnage qui vient de se montrer couard), la répétition (un personnage qui essaye de faire quelque chose et qui en est empêché trois fois de suite montre... sa faiblesse, son impuissance)
Le fait de viser une faiblesse sera parfois "vilain" (il s'agit de se moquer de quelqu'un) mais cela peut aussi être attendrissant ou rendre les gens sympathiques. La faiblesse peut-être celle du narrateur lui-même, c'est alors de l'auto-dérision.


En lisant cela, j'avais tenté de trouver des contre-exemples et je n'en avais pas trouvé. Pour autant, cela ne fait pas le tour de la question, bien sûr, (l'idée de "décalage" que tu évoques est très riche de sens, elle aussi) mais c'est un éclairage intéressant, je trouve.
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Milora
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Milora »

Hm, je vois... Mais ça reste très général comme explications ^^

Pour le point 1, j'ai un contre exemple. Dans Jasper Fforde, le personnage de Pickwick est très drôle. C'est le dodo de compagnie de l'héroïne, qui est assez bête et court partout pour avoir des shamallows à manger. Elle n'a pas du tout de comportement humanisé (c'est plutôt la caricature de l'animal de compagnie), et pourtant, on en rit...

Pour la faiblesse, je n'y avais pas pensé ! Faudra que je cherche si je vois des contre-exemples...

Mais Lavandier, c'est sur la construction d'une histoire en général, non ? C'est pas propre aux mécanismes de l'écriture ?
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Beorn »

Milora a écrit :Pour le point 1, j'ai un contre exemple. Dans Jasper Fforde, le personnage de Pickwick est très drôle. C'est le dodo de compagnie de l'héroïne, qui est assez bête et court partout pour avoir des shamallows à manger. Elle n'a pas du tout de comportement humanisé (c'est plutôt la caricature de l'animal de compagnie), et pourtant, on en rit...
Je ne connais pas dodo, mais ce n'est pas un contre-exemple.
Si la faiblesse de dodo est d'être stupide, ou gourmande, par exemple, ce sont aussi des faiblesses humaines donc ce comportement nous renvoie finalement à nous-mêmes.
Il faut le prendre, hum, au sens très large. ^^

Sinon, en effet, Lavandier ne s'attache pas spécialement aux mécanismes de l'écriture. Dans cet ouvrage, il parle de dramaturgie, c'est à dire les mécanismes du récit, quelle qu'en soit la forme. Mais ce qu'il dit sur l'humour est très général et peut s'appliquer aussi bien à un film, qu'à un livre ou à une histoire drôle.
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Milora »

Beorn a écrit :
Milora a écrit :Pour le point 1, j'ai un contre exemple. Dans Jasper Fforde, le personnage de Pickwick est très drôle. C'est le dodo de compagnie de l'héroïne, qui est assez bête et court partout pour avoir des shamallows à manger. Elle n'a pas du tout de comportement humanisé (c'est plutôt la caricature de l'animal de compagnie), et pourtant, on en rit...
Je ne connais pas dodo, mais ce n'est pas un contre-exemple.
Si la faiblesse de dodo est d'être stupide, ou gourmande, par exemple, ce sont aussi des faiblesses humaines donc ce comportement nous renvoie finalement à nous-mêmes.
Il faut le prendre, hum, au sens très large. ^^
Oui enfin, c'est, du coup, au sens si large que tout est humanisé dans un texte, du fait même que c'est une vision humaine qui le transcrit !
C'est vrai que si Lavandier parle de l'humour en général, hors de tout contexte de fiction, ça peut se vérifier : si on trouve notre chaton rigolo à se prendre les portes avec son air éberlué, ou un chien qui tourne en rond pour essayer d'attraper sa queue, c'est parce qu'on projette des critères ou sentiments humains sur lui - la bêtise, la maladresse. Oui, à la rigueur. Mais du coup c'est un peu évident, selon le principe que ce qu'on regarde est toujours vu par des yeux humains, et que - apparemment - seuls les humains connaissent le rire.
Mais là en l'occurrence, ledit dodo n'est pas plus humanisé que ce niveau-là. Il est présenté avec des comportements animaux. Il n'est pas plus humain que ce chien qui court après sa queue. Ce n'est pas un ressort comique propre au texte ou à un élément de fiction...
Et ça n'enlève rien à la question : qu'est-ce qui fait que, dans un récit, c'est drôle ? Je parle pas de l'élément en soi, mais de ce qui fait que, quand on le lit, on trouve ça drôle - alors que là quand j'en parle par exemple, ce n'est pas drôle - pourtant il s'agit bien du même élément. Rien n'est drôle en soi dans un récit : ça dépend de la façon dont c'est présenté.
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Eva »

Tu t'attaques à du lourd, là. Comme tu dis, il y a plusieurs types d'humour, alors peut-être que le secret est de trouver un lecteur qui a l'esprit aussi tordu que soi. :mrgreen:

Sinon, je suis plutôt d'accord avec ce que tu écris. Je pense que tu es sur la bonne piste avec ton idée du décalage.

Mais il y a sans doute plusieurs autres moyen d'apporter de l'humour que tu as oubliés. Par exemple, la dernière fois que j'ai fait rire un lecteur, c'était avec un quiproquo entre deux personnages. Ce n'était pas leurs répliques en elles-mêmes, qui étaient drôles, mais leurs points de vue... décalés (justement ;) ). Il me semble que ça tombe dans la catégorie du comique de situation. Une catégorie très vaste, que j'aurais beaucoup de mal à définir correctement, mais qui reste une de mes ficelles préférées (avec l'ironie et l'absurde) pour faire sourire.

Je dis "faire sourire", parce qu'à mon avis, amuser un peu n'est pas si dur, mais faire rire aux éclats l'est beaucoup plus. Et le plus difficile est sans doute d'écrire un texte qui a l'humour pour vocation première.
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Zygomatique »

Sujet très, très intéressant.
L'humour dans un texte est aussi délicat à manier qu'un pur régal pour les lecteurs lorsque le ton est juste.
Perso, je suis sensible à l'humour provenant du cynisme.
Diana Gabaldon y excelle, mais aussi Graham Joyce (j'ai ri pendant 10 mn à la lecture d'une phrase en particulier des Limites de l'enchantement)
Ma très chère Marie-Catherine (Macada), avec un personnage animal qui m'a fait rire aussi, manie très bien l'humour, sans même que ce soit l'effet premier recherché, je crois.

Bref, l'humour dans les romans, OUI.

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Beorn
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Beorn »

Milora a écrit :Et ça n'enlève rien à la question : qu'est-ce qui fait que, dans un récit, c'est drôle ? Je parle pas de l'élément en soi, mais de ce qui fait que, quand on le lit, on trouve ça drôle - alors que là quand j'en parle par exemple, ce n'est pas drôle - pourtant il s'agit bien du même élément. Rien n'est drôle en soi dans un récit : ça dépend de la façon dont c'est présenté.
Bien sûr, ce n'est pas une recette, ce sont juste des éléments de compréhension.
Mais du coup c'est un peu évident, selon le principe que ce qu'on regarde est toujours vu par des yeux humains, et que - apparemment - seuls les humains connaissent le rire.
Là, je ne suis pas d'accord.
Ce n'est pas si évident que cela.
Par exemple, si un humain regarde deux extra-terrestres faire des bruits et agiter leurs trompes, il ne rira pas. D'autres émotions seront possibles : il sera peut-être fasciné, il sera peut-être effrayé, mais le rire sera impossible.
En revanche, si on lui donne les éléments pour comprendre la scène, s'il sait que c'est un mâle éconduit par une femelle, ou un employé grondé par son patron, alors le rire devient possible (pas automatique pour autant, il faut créer quelque chose de drôle, mais possible).

De même, le spectacle d'un coucher de soleil, d'une avalanche, de l'explosion d'une supernova, peuvent provoquer toute une gamme d'émotions, mais pas le rire.
En revanche, si à côté de la supernova qui se change en boule de feu, on voit un petit vaisseau dériver dans l'espace et qu'on entend Gaston Lagaffe dire à l'intérieur : "j'ai enfin trouvé un bon moyen de me débarrasser du courrier en retard" ça peut devenir drôle.
On a l'humain (même si c'était un extra-terrestre, cela n'aurait pas d'importance, on s'identifierait à lui, au danger qu'il coure, à l'ennui d'avoir à travailler) et on a la faiblesse (il est trop flemmard pour répondre au courrier).
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Milora »

Eva a écrit :Je dis "faire sourire", parce qu'à mon avis, amuser un peu n'est pas si dur, mais faire rire aux éclats l'est beaucoup plus. Et le plus difficile est sans doute d'écrire un texte qui a l'humour pour vocation première.
Oui, c'est vrai ! Y a plusieurs degrés d'humour et juste amuser superficiellement est moins difficile que faire rire (ou juste sourire : tout le monde n'a pas le rire spontané). Disons qu'on pourrait différencier la sensation diffuse du "ce texte est marrant" et la sensation plus intense du "ahaha, cette réplique est TROP FORTE !", que la personne ait ri ou pas.

Par contre, je suis pas fan des textes qui ne reposent que sur l'humour. Je trouve qu'en général ça s'essouffle vite ; parce que l'humour c'est quand même une jolie décoration, mais ce qu'on veut avant tout c'est être plongé dans une histoire, c'est ça le fil conducteur le plus important. (Enfin moi j'aime pas quand je sens que l'histoire n'est qu'un prétexte pour caser des gags).
Eva a écrit :Mais il y a sans doute plusieurs autres moyen d'apporter de l'humour que tu as oubliés. Par exemple, la dernière fois que j'ai fait rire un lecteur, c'était avec un quiproquo entre deux personnages. Ce n'était pas leurs répliques en elles-mêmes, qui étaient drôles, mais leurs points de vue... décalés (justement ;) ). Il me semble que ça tombe dans la catégorie du comique de situation. Une catégorie très vaste, que j'aurais beaucoup de mal à définir correctement, mais qui reste une de mes ficelles préférées (avec l'ironie et l'absurde) pour faire sourire.
C'est vrai, le quiproquo ! (je l'associe tellement au théâtre que j'y avais pas pensé pour un texte). Si le comique de situation n'est pas purement visuel, bien sûr.

Sinon, le cynisme me semble aussi un décalage (un ton détaché par rapport à une situation horrible)...


Beorn (je sais jamais si c'est avec ou sans accent xD), je suis... partiellement d'accord avec toi ^^
(D'ailleurs, je ne rêve pas : tu édites tes posts après coup ? :P C'est troublant d'y lire des choses qu'on n'avait pas lues au premier coup d'oeil et de se demander "euh, c'est rajouté ou j'avais été trop vite ?" :lol: )
Citer:
Mais du coup c'est un peu évident, selon le principe que ce qu'on regarde est toujours vu par des yeux humains, et que - apparemment - seuls les humains connaissent le rire.

Là, je ne suis pas d'accord.
Ce n'est pas si évident que cela.
Par exemple, si un humain regarde deux extra-terrestres faire des bruits et agiter leurs trompes, il ne rira pas. D'autres émotions seront possibles : il sera peut-être fasciné, il sera peut-être effrayé, mais le rire sera impossible.
En revanche, si on lui donne les éléments pour comprendre la scène, s'il sait que c'est un mâle éconduit par une femelle, ou un employé grondé par son patron, alors le rire devient possible (pas automatique pour autant, il faut créer quelque chose de drôle, mais possible).
Là je suis d'accord - c'est un peu ce que j'essayais de dire, mais maladroitement visiblement. L'amusement se déclenche en fonction d'éléments humains présents à l'esprit de l'observateur. Pas du simple fait qu'il est humain, mais du fait de critères humains que l'observateur applique à ce qu'il regarde.
En effet. Mais là on est dans l'humour hors de tout récit. C'est vrai que ça élargit d'autant plus la question.
Je me posais davantage la question au niveau d'un récit (et d'un récit écrit). Et je ne cherche pas de recette, je cherche à comprendre.

Par contre :
De même, le spectacle d'un coucher de soleil, d'une avalanche, de l'explosion d'une supernova, peuvent provoquer toute une gamme d'émotions, mais pas le rire.
En revanche, si à côté de la supernova qui se change en boule de feu, on voit un petit vaisseau dériver dans l'espace et qu'on entend Gaston Lagaffe dire à l'intérieur : "j'ai enfin trouvé un bon moyen de me débarrasser du courrier en retard" ça peut devenir drôle.
On a l'humain (même si c'était un extra-terrestre, cela n'aurait pas d'importance, on s'identifie à eux, au danger qu'ils courent, à l'ennui d'avoir à travailler) et on a la faiblesse (ils sont trop confiants et ils sont trop flemmards pour répondre au courrier).
Dans ton exemple, ce ne serait pas la supernova qui fait rire, mais la réplique de Gaston Lagaffe ou - plus encore - le décalage entre cette réplique et la situation.
Quant à dire qu'un coucher de soleil ou une avalanche ne font pas rire, je suis tout à fait d'accord. Mais est-ce pour l'unique raison qu'ils ne sont pas humains ? Voir quelqu'un pleurer ne fait pas rire en soi, non plus (pourtant c'est une faiblesse). Pourtant c'est humain.
En gros j'adhère pas trop à l'idée sous-entendue selon laquelle rire = humain + faiblesse et humain + faiblesse = rire. Il y a peut-être d'autres facteurs qui font que ceci est drôle et ceci ne l'est pas.
Mais, de toute façon, on est encore là dans le sentiment du rire en général (et y a sans doute des raisons psychologiques profondes et ataviques qu'on ne pourra pas explorer).
Modestement, je pensais plus à l'humour dans les textes... :roll:
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Roanne
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Roanne »

Sujet passionnant dans lequel je n'ai pas grand-chose de pertinent à apporter (désolée). J'avoue que pour ma part j'aime surtout l'humour de situation et les dialogues qui percutent (pourquoi, comment, je n'ai aucun intention d'analyser).
Je relève juste ce point parce qu'à titre personnel, je ne suis pas convaincue :
Beorn a écrit :Par exemple, si un humain regarde deux extra-terrestres faire des bruits et agiter leurs trompes, il ne rira pas. D'autres émotions seront possibles : il sera peut-être fasciné, il sera peut-être effrayé, mais le rire sera impossible.
Si ces deux extraterrestres sont capables de m'effrayer, de me fasciner, je ne vois pas pourquoi ils ne pourraient pas aussi déclencher mon rire.
Et d'autant plus que le rire peut aussi être provoqué par la peur, la fascination et d'autres émotions en apparence contradictoires car le rire sert naturellement de défense / protection émotionnelle.
Je peux vous parler du sourire du chimpanzé, si vous voulez. ;)

Dans les exemples de Beorn, fascination, peur, à chaque fois, c'est une émotion qui est provoquée et retranscrite par la réaction de l'humain qui regarde. Cette réaction peut être la paralysie, la fuite, l'hystérie... mais aussi le rire.
Celui-ci peut aussi être provoqué par la honte, la gêne, le mépris, etc.
Le rire est loin d'être toujours positif. Les humains adorent rire au dépend des autres, de façon très mesquine voir méchante, surtout dans le cadre des "phénomènes de groupe". Il y a même des gens qui ne connaissent pas d'autre forme d'humour.
Ce qui explique sans doute le succès de certaines formes "l'humour noir" que certains vont adorer alors que d'autres vont les trouver ignobles. Et quand bien même on les trouve ignoble, parfois on se surprend à sourire/rire quand même. On retrouve là le phénomène de protection émotionnelle... tout le monde connait l'expression "mieux vaut en rire qu'en pleurer" : le rire n'est pas toujours lié à quelque chose de drôle !
C'est là que le talent d'un auteur peut se révéler : réussir à faire rire d'une situation qui ne s'y prête a priori pas et qui, écrite de façon subtilement différente, pourrait provoquer une tout autre expression des sentiments du lecteur.

Pour en revenir à l'exemple des ET, en dehors même des sentiments qu'ils peuvent provoquer (peur, fascination,...), s'ils ont l'air vraiment innoffensifs, un poil ridicules et qu'ils ont une façon de bouger que je trouve marrante, je suis prête à parier que ça me fera rire à titre personnel, leurs mouvements de trompe. Peut-être pas aux éclats, mais je peux tout à fait les trouver drôlissimes ces extra-terrestres ; évidemment, j'essaierai de ne pas leur montrer la réaction qu'ils provoquent, des fois qu'ils en déduiraient que je me moque, car s'ils sont susceptibles je préfère éviter les sousis. ^^

Parfois, mes animaux font des trucs qui me font mourrir de rire alors que ça n'a rien d'humain, c'est juste des bêtises, des maladresses, des situations qui font que.
Et je ne suis pas la seule, vu le nombre de bestioles qui apparaissent dans les vidéos gagas et compagnie.
Vous n'aimez pas Noël ? ça tombe bien, nous non plus ! Du coup, avec Chapardeuse, nous vous invitons sur Wattpad pour (re)découvrir le Noël cataclysmique de Claire et Chan.

Anonyme_Quatre

Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Anonyme_Quatre »

Je confirme pour l'humour noir, dans des situations pourtant assez tragiques, ça permet de rire, d'alléger la situation. D'un point de vue extérieur, je trouve ça attendrissant pour les personnages d'ailleurs.

Milora, tu as aussi oublié la caricature :) Cohen le Barbare de 80 ans et édenté est juste excellent ^^ (d'ailleurs, Pratchett est le seul auteur avec Jonathan Stroud qui a réussi à me faire rire dans un lieu public... bonjour le regard des gens ensuite !)

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Beorn
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Beorn »

Roanne a écrit :Dans les exemples de Beorn, fascination, peur, à chaque fois, c'est une émotion qui est provoquée et retranscrite par la réaction de l'humain qui regarde. Cette réaction peut être la paralysie, la fuite, l'hystérie... mais aussi le rire.
Ben, le rire nerveux ou hystérique, ce n'est pas vraiment du rire, selon moi.
En tout cas, ce n'est pas ce qu'on cherche à provoquer en écrivant une histoire et je pense qu'on ne peut pas vraiment y arriver.

Je pensais pour ma part à la peur du lecteur. Si dans la scène des extra-terrestres, il y a un humain caché dans un placard, par exemple, elle change du tout au tout : il y aura bien un élément humain.
Roanne a écrit :Pour en revenir à l'exemple des ET, en dehors même des sentiments qu'ils peuvent provoquer (peur, fascination,...), s'ils ont l'air vraiment innoffensifs, un poil ridicules et qu'ils ont une façon de bouger que je trouve marrante, je suis prête à parier que ça me fera rire à titre personnel, leurs mouvements de trompe.
Bien sûr, et tu le dis toi-même : c'est parce qu'ils auront l'air ridicule. Le ridicule est une faiblesse que nous autres, humains, connaissons bien. Elle peut donc nous faire rire.
Roanne a écrit :Parfois, mes animaux font des trucs qui me font mourrir de rire alors que ça n'a rien d'humain, c'est juste des bêtises, des maladresses, des situations qui font que.
Et je ne suis pas la seule, vu le nombre de bestioles qui apparaissent dans les vidéos gagas et compagnie.
Tout à fait, et ce n'est pas un hasard si Disney fait rire avec des animaux, cela fonctionne très bien. Mais ce qui nous fait rire chez eux, encore une fois, ce sont des faiblesses ou des comportements qui nous rappellent les nôtres. Si un chaton se mord la queue et tombe par terre, il est touchant, maladroit et un peu ridicule.
Si un chien fait des clowneries pour attirer notre attention, il montre son besoin d'affection, ce qui est aussi une "faiblesse" que les humains connaissent..
Si un perroquet imite un son qui nous trompe (la voix de notre compagne, le son d'une chaise qui grince), nous rirons de son exploit de notre propre faiblesse, nous qui nous sommes laissés prendre.

C'est évidemment à prendre au sens large. Il n'y a pas que les humains qui peuvent nous faire rire, mais nous ne pouvons rire qu'à propos de faiblesses que nous pouvons comprendre et éprouver, nous humains.

Le mot "faiblesse" n'est pas forcément à prendre dans un sens moqueur et péjoratif. Le rire peut effectivement être blessant, mais il existe aussi le rire de compassion ou d'attendrissement.
Milora a écrit :Beorn (je sais jamais si c'est avec ou sans accent xD)
Sans, en principe, c'est un personnage de Bilbo le hobbit. ;)
Milora a écrit :Je me posais davantage la question au niveau d'un récit (et d'un récit écrit).
Les éléments de Lavandier ne sont pas directement exploitables, je pense. Mais ils permettent peut-être de mieux comprendre le mécanisme du rire et de trouver de meilleures idées. Ou pas. ^^
Milora a écrit :En gros j'adhère pas trop à l'idée sous-entendue selon laquelle rire = humain + faiblesse et humain + faiblesse = rire. Il y a peut-être d'autres facteurs qui font que ceci est drôle et ceci ne l'est pas.
Ah mais on est bien d'accord. Ce ne sont pas des conditions suffisantes, ce sont des conditions nécessaires.
Un humain en position de faiblesse peut inspirer de tout autres sentiments que le rire : la peur, le mépris, la compassion, le désir carnassier, l'amour, et sûrement bien d'autres encore.
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Sobota
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Sobota »

Le sujet m'intéresse aussi beaucoup.

Je pense que le rire provient effectivement d'un décalage. Cependant je distingue entre un comique social et un comique absolu. Le comique social, c'est celui de la comédie de types, façon Molière. Un avare, un misanthrope dont les vices sont poussés à l'extrême. Comme le rire provient du décalage, il faut que le type présenté tranche avec l'idéologie. Dans un pays d'avares, Harpagon ne ferait rire personne. Comme notre société a son idéologie propre (dans le temps et dans l'espace, elle change évidemment), les comiques de types présentent des figures décalées par rapport à cette idéologie pour provoquer le rire. Et c'est très dangereux : le rire social est une expression de supériorité, façon ah, ah ! comme ils sont bêtes et nuls ces misanthropes et ces avares, il est évident qu'il en faut être ni misanthrope ni avare ! Ceci conforte la société dans ses valeurs, même si celles-ci contredisent les valeurs précédentes et les rires précédents. De quoi rit-on, de nos jours ? Des politiciens, des vieux, du catholicisme, des commerçants, des élites. Le XVIIe n'eut pas rit de ces choses-là (commerçants exceptés, sans doute). Mais donc le comique social nous permet d'entretenir cette douce illusion selon laquelle notre époque est bien plus avancée et plus clairvoyante que toutes celles qui précèdent, et qui étaient des temps d'obscurantisme, de religion, de misogynie et d'écrasement du peuple. Que de niaiseries passent dans le comique social, et comme les gens en ressortent contents, repus de leur dose d'autosatisfaction ! Comme le disait Cioran, "si Molière se fût replié sur ses gouffres, Pascal avec le sien eut fait figure de journaliste".

Voyons maintenant le comique absolu. Si l'on considère que l'écriture est un art et que l'art se caractérise notamment par sa portée universelle (par exemple, en relisant Homère trois mille ans après la composition des poèmes, on trouve encore que ça nous parle), seul le comique absolu mérite d'être retenu dans l'écriture. Alors que le comique relatif (ou social) témoigne d'une supériorité (ou du moins d'une croyance du spectateur en sa propre supériorité), le comique absolu n'est pas généré par la vue d'une difformité, d'un phénomène non conforme ou du malheur de nos semblables. Baudelaire, dans les Curiosités esthétiques, assimile au grotesque le comique absolu. Il dit que le comique relatif est l'expression du sentiment de la supériorité de l'homme sur l'homme, alors que le comique absolu est celle du sentiment de la supériorité de l'homme sur la nature. Le rire absolu se déclencherait devant des imitations de la nature dues à l'orgueil humain de faire mieux qu'elle. Le comique absolu, c'est l'homme ridicule de par sa condition d'homme, l'homme pitoyable parce qu'il tente d'exister par des gesticulations insignifiantes entre sa naissance et son décès, l'homme qui croit trouver des refuges dans l'amour ou la religion, l'homme qui tente de dérober son cou à la grande Faucheuse. Nous comprenons bien que le comique absolu concerne tout le monde, là où le comique relatif ne concerne qu'une tribu, ratatinée dans le temps et l'espace, qui rit des choses qui lui sont différentes, exotiques, pour se chloroformer elle-même dans la douceur de ses illusions. Le comique absolu touche au fantastique, puisqu'il est question de faire hésiter les bornes fixées par la nature, de brouiller les frontières de la condition humaine. Pour Baudelaire, Goya donne dans un comique très-absolu, lorsqu'il dessine ces sorcières ventrues, ces gnomes qui sautillent sur un cercueil qu'un pauvre diable essaie d'ouvrir, ces hommes animalisés par les désirs méchants qui nous collent à la peau, le chaos des prostitutions, tous ces rejets de la civilisation qui constituent, dit-il je crois quelque part en s'appuyant sur ce dessin de Goya très célèbre où un rêveur est environné par les monstres du sommeil, la matière des songes.

Voilà donc, peut-être, les deux ordres de choses qui font rire, et le mécanisme de ces deux sortes de comique. Pour répondre à la question finale sur ce que l'on pense de l'humour en littérature, je conclus (au terme de ces cinq heures éreintantes de composition, où j'ai triché en notant des citations dans le couvercle de la calculette...) que l'humour est un procédé très-enviable lorsqu'il relève du comique absolu, puisqu'il met en questions des choses universelles, qui concernent tous les hommes de toutes les époques, seules ces choses universelles ayant vocation, pour moi du moins, à figurer parmi ce qu'on nomme la littérature.
Modifié en dernier par Sobota le mer. août 29, 2012 1:42 pm, modifié 1 fois.

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Iluinar
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Iluinar »

Sujet vaste et intéressant !

Je crois que la difficulté dans le rire, c'est que chacun ne rit pas aux mêmes choses, loin de là. Je ne sais plus qui a dit sur ce fil que l'on ne pleurait pas aux mêmes choses non plus mais je pense qu'il y a moins de différences quand même. On a tous nos sujets "tabous" sur lesquels on supporte difficilement que les autres fassent de l'humour.
Il me semble que, pendant longtemps, tous les romans proposés en cycle basés sur l'humour ont été refusés. parce que ce qui faisait rire certains faisait hurler les autres et que jamais un consensus ne se dégageait.

C'est une question que je me suis déjà posée : pourquoi certaines choses me font rire et d'autres pas. Le rire est un phénomène très mystérieux. Je pense que l'idée du décalage de Milora est une bonne piste.

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Beorn
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Beorn »

Eva a écrit :Je dis "faire sourire", parce qu'à mon avis, amuser un peu n'est pas si dur, mais faire rire aux éclats l'est beaucoup plus. Et le plus difficile est sans doute d'écrire un texte qui a l'humour pour vocation première.
Je ne sais pas si on est toujours dans le sujet, mais je crois que ce que tu dis est très important.
Le rire est une émotion très dangereuse, car elle a tendance à détruire les autres. Ce n'est pas une loi gravée dans le marbre, mais il est plus difficile d'avoir peur de quelqu'un qui nous a fait rire, ou de se passionner pour un personnage qui a l'air d'un clown. C'est un peu un "tue-l'émotion".
Je sais, on peut trouver des milliers des contre-exemples, mais il n'empêche, il faut y penser en écrivant son récit. Parfois, on est très fier de son "moment drôle", et on ne se rend pas compte qu'il ruine toute l'atmosphère savamment préparée en amont. C'est souvent un défaut de débutant que de vouloir faire rire au milieu d'une scène angoissante, c'est extrêmement délicat à faire et le plus souvent, cela mène à la catastrophe, àmha.

Les oeuvres dites "humoristiques", les parodies comme celles de Pratchett, par exemple, renoncent délibérément à explorer en profondeur les autres émotions : le curiosité du mystère, la peur, la colère, le désir, etc.
Pratchett y parvient parce qu'il arrive à être drôle tout le temps, et aussi parce qu'il travaille beaucoup sur le double-sens. Mais c'est un choix qu'il fait au départ. Il renonce à beaucoup de choses.

Ce n'est pas pour autant qu'il faut faire une croix sur le rire, au contraire. On peut avoir de petites touches d'humour dans un récit qui n'est pas "humoristique", mais je crois qu'il faut aborder le problème avec beaucoup de précautions.
Par exemple, introduire l'humour aux bons moments (plutôt dans les scènes à faible tension, ou les dialogues) et par les bons personnages : si on veut construire un héros légendaire, faire rire de lui risque d'entamer son image (si on veut entamer son image, c'est parfait, mais si on veut vraiment en faire un être de légende, ce sera un obstacle supplémentaire).
Le cliché du "rigolo de la bande" n'a pas été créé par hasard ; il est commode, il résout ce problème.
S'il y a un cliché, c'est toujours qu'il y a une bonne raison à cela au départ.
Bien sûr, on n'est pas obligé de reproduire le cliché, mais il me semble intéressant d'y réfléchir, de le retravailler à sa propre façon.
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